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18/12/2010

Axel Kahn à Koh-Lanta

Un cas d’école éthique m’a été posé, à moi dont la paresse n’a pas permis que je rédige, comme je l’avais voulu, la synthèse du colloque de bioéthique auquel j’ai assisté récemment. Quelqu’un me confie s’être disputé avec son fils en regardant hier la finale de Koh-Lanta à propos d’un événement inopiné : des trois finalistes de l’épreuve, une jeune femme perd connaissance, tombe dans l’eau et manque donc de se noyer. Le conflit culturel est ainsi posé : pour l’un, il est inconcevable que l’un des deux autres ne se sacrifie pas pour la sauver ; pour l’autre, les sommes en jeu autorisent les deux candidats à ne penser qu’à eux-mêmes dans cette dernière ligne droite. Position moralement indéfendable, dans la réalité comme dans l’éducation qu’on veut inculquer à ses enfants. Certes. Mais. Parce qu’il y a un mais dans le champ électique de la question éthique, pour reprendre l’expression d’Axel Kahn, qui est celui du dilemme. « Je suis au Mont St Michel, raconte-t-il, je vais de la terre ferme jusqu’au rocher ; je suis sur le bon chemin et à vingt mètres de moi, quelqu’un s’est égaré et est en train de s’enfoncer dans les sables mouvants. Il n’est pas suffisant que je respecte son autonomie ! Il faudra que je fasse appel à un autre principe et d’ailleurs, si j’étais moi-même en train de m’enfoncer, j’aimerais bien qu’on me tendît une perche ! Le principe de bienfaisance, de solidarité est bien évidemment une des composantes de ce principe-là. » Civilement, si j’assiste à la noyade d’un de mes contemporains, le champ de la chose juste va me pousser à porter secours à la personne en danger. Mais si je change la vision illusoire que la télévision tend à présenter, je peux aussi dire que sur les cinquante personnes qui participent au tournage, quarante-sept autres personnes sont susceptibles de lui porter secours sans autre enjeu, pour le coup, que de devenir des héros. La société du spectacle et de l’émotion focalise sur les deux jetés en pâture pour héroïsme ou contre-héroïsme alors même que rien, dans la situation telle qu’elle est et non telle qu’elle est présentée, n’oblige ces deux là à renoncer à l’égoïsme qu’on leur a d’ailleurs conseillé, et présenté comme nécessaire aux ambitions de victoire. J’ai l’insigne faiblesse de n’avoir jamais regardé une seule seconde de ces émissions de télé-réalité, indépendamment, il y a très longtemps, de « Loft Story », la première, qui m’a convaincu que la pensée occidentale était perdue. J’ai retourné depuis ma télé de l’autre côté, chantait Boris. Mais cette anecdote me pousse à penser que la personne qui m’a raconté ça s’est fait berner et que son fils a eu raison de penser singulièrement. Il faudra juste lui apprendre que ces deux candidats pourraient, en tant qu’êtres humains, tendre une perche au noyé du Mont St Michel. Mais que dans le cas précis du jeu du cirque télévisé, on les a conditionnés pour ne pas le faire. Ou peut-être même, étape ultime, tendu le piège de la noyade scénarisée pour qu’ils échouent au seuil du Graal, satisfaisant ainsi les pulsions sadiques des millions de téléspectateurs.

Kevin Carter s’est suicidé après qu’on l’a accusé d’être le deuxième vautour présent sur une photo qui a fait le tour du monde, sans pouvoir convaincre que son rôle était d’abord de témoigner de la famine au Soudan, ensuite de chasser le vautour qui attendait patiemment que la petite fille agenouillée, face contre terre, meure. J’y pensai ce matin quand l’histoire de Koh-Lanta m’a été narrée. Je ne la montrerai pas, vous la trouverez facilement.

Demain, démonstration de l’antiphrase contenue dans le principe de l’émission «  le maillon faible », si chère à Chabrol, de mémoire. Non, je rigole. 

 




 

15:56 Publié dans Blog | Lien permanent

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