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03/04/2009

Being Hamlet.

Ce blog avait vocation, au départ, de remplacer ce « Cheval de Troie » - revue culturelle d’inspiration nizanienne – dont je ne désespère pas qu’il renaisse un jour, sous quelque forme que ce soit. J’y ai progressivement, comme dans ma vie, délaissé l’exercice critique au profit d’un engagement esthétique permanent, dans les écrits comme dans ces projets qui foisonnent et me font dire que je vis bien. Je n’ai même pas envie de critiquer le « Hamlet » que je viens de voir aux Célestins : ça m’obligerait à contester les choix de mise en scène, à pester contre l’utilisation abusive de la musique au théâtre, surtout quand elle ponctue les scènes. J’ai dit en première réaction que plus d’effets dans une pièce que n’en a mis Claire Lasne-Darcueil, ce serait les Monty Python. Parce que là, elle a fait fort, quand même : du Radiohead, du Ferré, un peu de techno et de hurlements, le Spectre qui fume son clope en regardant la scène, l’inévitable mise-à-nu d’un ou deux comédien(ne)s, deux chouettes par ci, un vautour par là, des travestis,  l’enflure de la noyade  d’Ophélie…

 

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Evidemment, en repensant à l’épure du « Hamlet » de Peter Brook, on ne peut s’empêcher de se dire qu’à monter un tel texte, il ne faudrait en retenir que la force. Enorme, irrésistible. Plus j’en vois, plus je me dis que ce texte est une genèse, que tout y est : on retrouve les affres du pouvoir, de la perdition, les hypocrisies relatives au politique. On passe de la farce la plus marquée à la métaphysique absolue, celle d’avant la psychanalyse. On rit tous de Yorick, par exemple, avant de frissonner d’effroi à la pensée qu’on sera un jour comme lui… Qu’un fossoyeur rira de nous avant de nous aplatir le crâne à coups de pelle.

Non, je ne dirai rien d’autre de cet « Hamlet »-là, oubliable dans sa mise en scène. Je ne garderai – et c’est déjà beaucoup - que l’extraordinaire proximité avec le comédien. De le voir à cinquante centimètres de soi pendant une grande partie de la représentation m’a permis de dépasser le « Hamlet » pour apprécier un Hamlet en train de se jouer. Et c’est impressionnant, un tel rôle. Being Hamlet. Pas d’autre solution pour le jouer que de l’être tout à fait, c’est une tautologie. Mais ce n’est pas pour autant gagné d’avance. Et là Patrick Catalifo m’a subjugué, après la réticence initiale (un peu trop vieux pour le rôle ?). Des accents très enfantins jusqu’à la plus extrême souffrance, la palette des expressions de cet acteur n’est pas complète, elle est incarnation. Un rien dans le regard qui montre qu’il n’est pas en train de jouer, mais qu’il est en train de préparer cette revanche impossible qui lui coûtera plus qu’elle lui apportera jamais (si l’on excepte la postérité qu’Horatio lui devine dès la dernière scène, après que le silence ait défini le reste). William Nadylam, dans « la tragédie d’Hamlet » de Brook, jouait le retrait distant du Prince du Danemark sans jamais qu’on le prenne à défaut de simulation. Catalifo le joue sur plusieurs registres, la démesure des pas dansants, l’accablement de la souffrance amoureuse (quelle scène quand il oppose à Laerte une douleur qu’il juge supérieure à la sienne !), la violence explosive de la dénonciation des criminels. Catalifo équilibre la démesure de la mise en scène quand il ramène, non pas à lui, mais aux interrogations du personnage sur la validité de son action, sur les justes effets de la vengeance qui le torture. Quelque chose dans le visage qui se tord et fixe au plus loin, jusqu’après le théâtre, ce qui pourra bien advenir d’un monde déjà pourri qui ne peut rien annoncer de bien. Quelque chose de l’ordre d’un sacrifice profane et politique, la fin d’un monde qui n’est plus supportable. Et cette question, terriblement moderne encore: Have you eyes? 

19:52 Publié dans Blog | Lien permanent

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