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03/06/2023

Murat & I (4/10)

murat paysan.jpegUn jour, le génial et regretté (aussi) Didier Le Bras, le plus grand exégète de Murat, m’a demandé pour son blog protéiforme les dix chansons* que je sélectionnerais de l’Auvergnat. Un vrai casse-tête, une liste que je ne retrouve pas et que, de toute manière, je changerais aujourd’hui, et d’heure en heure. Mon décalogue chronique, là, n’a pas non plus valeur de sélection, même si quelques-uns figureront dans mon Panthéon. Mais « l’almanach amoureux » est peut-être un des plus beaux textes de Murat, tant il rend hommage à sa culture profonde et ancestrale, au continuum paysan qu’on retrouve dans les proverbes liés aux plantations, aux floraisons, aux précipitations, à toutes les manifestations de la Nature et de ses éléments. Une étude précise et linéaire du calendrier telle qu’on l’entendait de la bouche des anciens, à laquelle il rajoute sa déclaration à Mademoiselle – sa douce amie- ce mot qu’on veut abolir, maintenant. La St Martin, la St Médard, la St André, la St Michel ponctuent cette énonciation cyclique qui s’apparente, dit-il, à une vie, complète. Il y a quelques miaulements, des bruits d’oiseaux – comme d’habitude chez Murat – la voix est suave et l’orchestration très classique, presque naturaliste puisqu’il s’agit ici d’exprimer un bon sens intemporel. Une ballade, un rondeau, un virelai ? C’est sans doute le morceau le plus médiéval du troubadour, histoire de justifier un des clichés véhiculés. On y retrouve, sous les beaux atours, la crainte de la perte et de la mort, l’idée qu’il faut travailler, littéralement, à sa survie (fainéants peuvent s’aller pendre), ou la justifier par le labeur, c’est selon. Murat y a mis tout ce qu’il a appris en tant qu’homme qui cultive la terre, tout ce qu’on lui a transmis. Sans doute s’est-il inspiré des Proverbes et dictons rimés de l'Anjou d’Aimé de Soland, qui reprend les dictons relatifs aux mois, paru au milieu du XIXe siècle. En juin, c’est le trop de pluie, dit-il, qui rend le paysan chagrin. Gageons qu’en ce juin de cette année, les paysans du Mont Sans Souci ont d’autres raisons de se morfondre. En silence.

* à l'instant T et au débotté : "le lien défait", "Plus vu de femmes", "A Woman on my mind", "la fin du parcours", "la chanson de Dolorès", "Aimer", "l'amour qui passe", "Sentiment nouveau",  "Maîtresse" & "En amour". Revenez dans une heure, j'en aurai dix autres.

15:42 Publié dans Blog | Lien permanent

02/06/2023

Murat & I (3/10)

MuratGrtbaise.jpegQuand Jean-Louis Murat écrit « Quand femme rêve » pour Julien Clerc, et qu’il situe la chanson sur l’île d’Ouessant, il y a clairement dépassement de soi : le paysan d’Orcival, bien ancré dans la terre d’Auvergne, n’a aucune vocation à la mythologie des marins et c’est aussi pour ça que la chanson fonctionne, doublement. Il fallait, comme Roda-Gill avant lui, dépasser le côté bellâtre de l’interprète, emmener l’auditeur ailleurs, et si possible le plus loin qu’on puisse. Ça tombe bien, Ouessant est au bout de la fin de la terre, littéralement, et c’est une île dont il est plus facile de repartir que de l’atteindre, si les éléments ne veulent pas. Gervaise, dont j’ai beaucoup parlé ici, a voulu exprimer la perte par son art*, et la superposition d’un Jean-Louis éthéré et des micaschistes de l’île - sur lesquelles viennent se fracasser les vagues et les illusions – dit l’essentiel de ce qu’il faut encore atteindre quand on est revenu de tout. Il est dans ses nouvelles tonalités de l’encre de Chine, il y a autant de fracas et de noirceur que de présence et de chamanisme, dans ces moments de concert où Jean-Louis Murat s’abandonne, attend que vienne, que vienne à (s)a bouche A Woman, ceux qui savent savent.

Je ne sais pas si Jean-Louis Murat est déjà allé à Ouessant, j’y suis déjà allé, en revanche, et la dernière fois avec Gervaise. On en a tiré, et sans se concerter, des dessins qui ont orné la Girafe lymphatique, et un poème qui renvoyait au diptyque présence/absence de celui qui l’avait incarnée, jusque-là, et qui continuera. Gervaise a voulu lier les deux impétuosités, et la damnation inhérente de l’île. Si vous ne vous y êtes pas échoué, vous serez livré au charme, et à la perte : du prisonnier dont on extrait la moëlle des oscomme fait busard au louveteauelle boira votre sang comme l’eau. C’est aussi en cela que Ouessant, la magnifique, accueille les âmes perdues ailleurs.

Toujours nous emmènera le goéland vers Ouessant, encre de Chine, 30 x 40cm, 30 mai 2023. À noter le lapsus dans le titre, qui renverra à la distinction entre échouage et échouement...

 

13:10 Publié dans Blog | Lien permanent

01/06/2023

Murat & I (2/10)

JLM2.jpegOn ne peut pas créer sans avoir de repères solides, et sans s’en défaire. Écrire – des chansons, des romans – en ayant (beaucoup) écouté Jean-Louis Murat peut s’avérer un problème si l’on est auteur-compositeur-interprète parce qu’on peut vite chercher à lui ressembler, ce qui est impossible si l’on considère qu’il est particulier. Moi, je ne fais qu’écrire les textes des chansons*, et lui n’a jamais écrit de romans, on est resté dans nos champs respectifs, et je n’ai pas cédé à l’agaçante facilité de l’intégrer directement dans un texte édité. Il suffit de voir combien d’extraits de chansons deviennent des titres de mauvais romans pour constater que tant qu’on est dans le mimétisme, ou la béatitude, on n’est jamais soi-même et on sera toujours au mieux derrière. Il faut intégrer l’œuvre pour s’en détacher, et se permettre la référence, bien cachée. Impossible, par exemple, de ne pas penser à JLM et à Aimer en utilisant le verbe éperonner pourtant classique, et maritime dans son usage premier. Mais là, puisque je me permets une appropriation en dix épisodes, c’est à une autre chaîne à laquelle je veux faire écho, ce morceau de Ferré, enfin non, de Caussimon, annonce Murat faisant mine de se tromper, le superbe Nuits d’absence au cours duquel il est question d’Arkhangelsk, dont sonorité, exotisme et mystère font merveille, dans la prononciation suave. Comme Ouessant, avec une syllabe de moins, mais j’en reparlerai bientôt. Arkhangelsk, ça n’appartient à personne, mais dans l’imaginaire, c’est lié à Ferré, et puisqu’il y a filiation, à Murat. C’est pour ça qu’à chaque fois que j’ai pu écrire ce mot dans le deuxième volume (à paraître en octobre) d’Aurelia Kreit, j’ai eu une pensée pour ces deux piliers de ma culture et l’impression, une seconde, de faire partie des leurs. A ma façon.

* dont une face B introuvable, "Chevauchant l'haridelle", qui prend directement appui autant sur ce texte de Caussimon que sur la référence à Cervantès qui l'a inspirée.

 

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