03/12/2023
Dernières Nouvelles d'Alsace.
Clara et moi poursuivons notre chemin sur les traces de mon héroïne de papier, à Mulhouse et à Thann, les 13 & 15 décembre, juste avant la trêve. L'occasion de se remémorer, là-bas, des épisodes des Jardins d'Ellington:
(...) L’officier désigné par l’État-major a d’abord renvoyé Anton à l’officier gestionnaire des formations sanitaires des Armées, à Mulhouse. Lequel l’a renvoyé aux registres de l’HOE, qu’il ne pouvait lui communiquer par courrier: il fallait contacter le Garnison-lazarett, l’hôpital militaire local. Qui le renverrait peut-être à l’hôpital civil du Hasenrain ou à celui des sœurs de Niederbronn, rue du Bourg. (...)
(...) — Vous dites qu’il a été touché à Mulhouse? Déjà, faudrait qu’il vous ait dit si c’était lors de la première ou de la deuxième attaque*, hein! Si ça s’est passé à Dornach, il sera au Reservelazarett, si c’est à Altkirch qu’il s’est pris un éclat, il aura peut-être été envoyé au Heinsenrien. C’est pas si simple, ma p’tite Dame, vous savez!
* Du 7 au 10 août, puis les 18-19 août 1914. (...)
(...) Aurelia s’était jurée, une fois dans l’aventure, de ne jamais soupirer à la moindre contrariété. Là, elle crut bien défaillir, néanmoins. La première piste qu’onlui proposait pour retrouver son frère l’emmenait à Zillisheim, à 5km de Mulhouse. On y avait monté, dans la précipitation, après les batailles d’août 1914, les diverses évacuations et retraites qui s’ensuivirent, un hôpital militaire français, dans une Alsace de nouveau annexée. C’est donc auprès des Allemands qu’Aurelia devait s’enquérir du sort d’un de leurs prisonniers, dont il faudrait remonter le pedigree, expliquer, dans le pire des cas, pourquoi ce jeune homme passé par la case autrichienne s’était mis en tête de défendre l’ennemi. Pourquoi elle-même était détachée par un bataillon français pour se soucier de lui. La question de l’identité, déjà prégnante chez cette jeune femme, ne manquerait pas de les intéresser, il allait falloir la jouer fine. Elle pourrait être constituée prisonnière, réquisitionnée au soin des vainqueurs, qui s’amuseraient de son humiliation. Le maire de la ville, disait-on, avait refusé de s’occuper des funérailles des soldats français, d’organiser l’évacuation des blessés légers, pour plaire aux Allemands. Par patriotisme, qui sait: la région avait une telle duplicité qu’Aurelia ne pouvait que penser à sa propre histoire, tiraillée entre deux langues, deux figures maternelles et deux romans nationaux. Mais là, il n’y avait pas d’erreur possible: il lui fallait aller vérifier d’elle-même si Igor s’y trouvait et 1) trouver le moyen de s’en occuper sur place, elle-même 2)préparer leur évasion, dès qu’il serait à peu près sur pied. Puisque ce devait être Zillisheim, ce le serait. Il fallait, déjà, trouver une voiture pour l’y emmener.Prétexter un rendez-vous avec le médecin inspecteur général pour intégrer le Petit séminaire dans lequel se trouvaient les brancardiers divisionnaires de la 66e division. La lettre de recommandation et ses états de service feraient le reste. Si Igor ne s’y trouvait pas, elle simulerait l’obligation de se rendre d’urgence dans son service d’origine et ne reviendrait pas. En temps de guerre, d’un côté comme de l’autre, on a peu à faire d’une brancardière qui se débine. On la compterait pour morte, on passerait à une autre et elle serait déjà en train d’explorer une autre piste. Tant qu’on n’aurait pas ouvert le caveau ou la fosse commune dans laquelle son frère reposerait, elle continuerait de chercher. Elle ne céderait à aucune lassitude. (...)
(...) Anton et Despesses débarquèrent à Mulhouse, en plein no man’s land, dans une ville fatiguée d’être conquise et abandonnée tour à tour. Aux alentours, les Allemands n’avaient pas réoccupé tous les villages évacués. Ils se tenaient sur une ligne Burnhaupt- le-Haut/Aspach-le-Bas, ce qui avait fait sourire Despesses, pas le conducteur du taxi qui lui racontait l’historique récent. On les repère sur le Kahlberg, ils contrôlent les routes vers Mulhouse ou Belfort. Ça cartonne bien de temps à autre, mais le pire, c’est qu’on ne sait pas vraiment ce qu’ils veulent du coup. À part pour les gosses...
05:58 Publié dans Blog | Lien permanent
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