30/09/2022
La Girafe, le Cheval et le Blaireau mort.
Tous les ans depuis quatre ans, à la veille de ce « grand entretien » que j’anime dans l’écrin magnifique du Réservoir, pour les Automn’Halles, le festival du livre de Sète, je me demande ce que je fais là et pourquoi j’ai accepté une telle charge, tellement soumise à la critique en cas d’échec. Et je vendrais mon père et ma mère – si mon père n’était pas empêché et si ma mère n’était pas aussi prompte à ne pas être d’accord – pour être ailleurs et, puisque ça n’est pas possible, éviter le bide des dix personnes dans la salle pour un auteur aussi génial et essentiel (j’y reviendrai) qu’Éric Chevillard, père d’une littérature perpétuelle depuis 87, dans l’art romanesque et son « Mourir m’enrhume » aux Éditions de Minuit et « l’autofictif », le blog qu’il tient depuis 2007, qu’il nourrit de trois notes par jour, avec l’assiduité qu’il convient à ce type d’exercice. Pour des raisons indépendantes de notre volonté, on inverse le déroulé prévu de la soirée, et c’est Christophe Brault, le comédien attitré de Chevillard, qui commence, lui qui lit l'Autofictif une fois par mois à la maison de la poésie, à Paris, à raison d’une heure de lecture par séance, sablier faisant foi. Ce qui conduit à un calcul savant, digne des plus grandes courses de keirin, puisqu’il faudrait 11 ans, à ce rythme, à Brault pour rattraper Chevillard, à la condition expresse que ce dernier meure avant lui. C’est cynique, pinçant, mais c’est du Chevillard, qui me force à lui faire du pied s’il rit trop à ses propres blagues, ce qu’il ne fera pas, et pourtant quel florilège ! Dans son bestiaire habituel, dans le jeu de la phrase, de son rythme, de sa syntaxe qui peut confondre, Chevillard – entre Wilde et Desproges – excelle, et le public est ravi, alors que l’entretien n’a pas commencé. C’est une osmose, une phrase de Chevillard, il y a la langue, je l’ai dit, au service du propos, qu’il soit métaphysique – la nostalgie, la fuite du temps – ou inessentiel (du moins le croit-on) et le rebond de l’anecdote, de la chose qu’on ramène, que ce soit le Cochon qui rit ou l’alexandrin parfait sur la parution du dernier Alexandre Jardin. On fusille sec, mais avec élégance, chez Chevillard, et je n’imagine pas l’émoi d’un écrivain méconnu qui lui confierai un de ses ouvrages, par exemple. Ça fusille mais ça se met en doute, en permanence, et il y a quelque chose de singulier dans cette musique des mots un poil archaïque, quasi-proustienne par instant et cet art de la chute, de la fuite, dirait-on, mais jamais lâche. Dans son dernier roman, « l’Arche Titanic » - sur le Principe d’une nuit au musée, titre d’une collection fondée et dirigée en 2018 par Alina Gurdiel, qui compte déjà une dizaine de volumes, parmi lesquels celui de Lydie Salvayre (Marcher jusqu’au soir) ou de Kamel Daoud (Le peintre dévorant la femme) – il choisit la Grande Galerie de l’évolution du Museuum d’histoire naturelle et même, plus précisément, la salle des espèces disparues et menacées, plutôt qu’un musée d’art plus conventionnel. Et c’est à partir de ces espèces d’espèces (et d’espace) que le narrateur mène une réflexion sur lui et plus largement sur la responsabilité de son espèce sur la disparition des autres et sur la possibilité de les réintroduire par la littérature, le mot qu’on a perdu. On se demande, parfois, si l’auteur croit en ce que dit le narrateur, s’il ne cherche pas, finalement, à dédouaner l’homme de sa responsabilité, par la dérision et le ridicule de sa propre condition. C’est sérieux ? Pas de souci, le narrateur vous gratifie, en fin de chapitre, d’un : « Après tout, moins la bête féroce a de dents, plus ronde est ma fesse. » chevillardesque. Si cette rencontre fut si belle, c’est, j’y reviens, parce qu’elle s’est déroulée devant plus de quatre-vingts personnes, arrivées par grappes, se disputant jusqu’à la dernière des chaises empruntées aux bureaux du musée. Il y a des temps suspendus, comme ça, et Antonin, de l’Échappée Belle et moi en avons vécu un peu commun, entre réflexion sur l’édition et la littérature (pas toujours en osmose, l’une et l’autre) et blagues de potache, lâchée à la Nizan, en se regardant les ongles. Comme dans ses romans, les vies de Chevillard sont enchâssées et disent quelque chose de l’ordre de la perte, et du Fugit Tempus, en témoigne, dans « l’Arche Titanic », entre deux passages sur l’incuriosité des animaux – l’œuvre de Chevillard est un bestiaire, de la loutre au blaireau, de la Girafe à l’éléphant. - l’horloge dorée monumentale de Marie-Antoinette offerte au Muséum par la Convention, qu’on trouve au beau milieu de la Galerie. L’heure et demie que Brault & Chevillard ont offerte au public du Réservoir, hier soir, la paire bonus que j’ai passée avec eux, après, relève autant de la promesse que du souvenir. Promesse d’une nuit de l’Autofictif, à la Médiathèque Mitterrand, un jour prochain ? Promesse de retrouvailles à Saint-Etienne, au Quartier Latin, bientôt ? La route est longue mais les rendez-vous sont pris. Je saurai, à ce moment-là, à combien – seul signe otobiographique consenti – il se situe, en nombre de pains aux raisins avalés dans une vie.
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23/09/2022
Murat fait Carrière.
On a le droit d’imaginer Jean-Louis Murat, depuis le temps, en orfèvre musical, qui dissocierait plan par plan ce qui fait un bon morceau musical. Le terme de chanson est proscrit, depuis longtemps, de son parcours artistique, ou seulement usité pour en rire, comme hier au théâtre Jean-Claude Carrière, dans le domaine d’Ô (une sacrée histoire pour y arriver, d’ailleurs…). « Allez-y, vous, je vous rattrape », dit-il, baguenaudeur, à ses compères historiques - si l’on ne tient pas compte du fait que l’un d’entre eux est le fils d’un des deux autres - « de toute manière, je fais toujours la même chanson ». Comme Dylan, comme Neil Young, à qui sa formation ressemble de plus en plus, c’est d’abord l’installation d’un spectre sonore, la basse lourde de Fred, la batterie feutrée de Yann et les sons de Denis, qui souligne. Des accords de Stratocaster sans mélodie, des bruits de bouche ou de bouchons de bouteille d’eau, une minute et demie, deux, plus tard, la voix chaude murmure un texte en écriture automatique qui devient secondaire, dans l’ambiance. La culture Blues bat son plein, Murat, toujours comme chez lui, se sert de sa voix comme du cinquième instrument sur scène, et mon amie Christine, enfin réconciliée avec le Bougnat, m’avouera avoir beaucoup aimé mais rien saisi du texte. Les amateurs les connaissent, les ont déjà entendus ailleurs, à Bourgoin, récemment. En rappel d’une carrière qui semble lointaine, maintenant, Murat met quand même tout le monde d’accord sur un premier piano-voix, « la pharmacienne d’Yvetaut » où son phrasé touche au sublime amoureux et met le théâtre en émoi. L’éclairage est sublime, le lieu de toute beauté, écologique er surchauffé, allez comprendre. Le mur que constituent les gradins (de théâtre) ne contribue pas à l’ambiance et à l’échange, mais Murat est de bonne humeur et improvise sur les bières locales « dégueulasses » qu’on veut lui fourguer « partout où il se pointe ». Arrive le moment où on se demande s’il ne va pas vexer ses hôtes, ou se braquer lui-même, comme il l’avait fait au Rockstore, il y a quatre ans, oubliant les huit morceaux de la dernière partie du concert. Non, là, ça reste bon enfant, et la bande-son est la même qu’aux Abattoirs, à part deux morceaux que je ne reconnais pas, qui n’étaient pas à Bourgoin, « Plus de ça entre nous » (titre apocryphe), aux polyphonies pop, et un autre, à moins que ce ne fût Montboufif, les Ayatollahs de la Muratie corrigeront d’eux-mêmes. Les morceaux phares, le « jerk » « Chacun sa façon », le dantesque - mais raccourci - « Franckie », « Battlefield » font leur office et si l’on craint le pire quand Jean-Louis quitte la scène au bout d’une heure et quart, c’est pour mieux y revenir, pour le splendide « Arc-en-ciel » en duo avec Denis, encore, et, la session rythmique revenue (« Ah, vous r’voilà, vous! ») et une clôture sur Taormina, suivie d’une standing ovation qui a semblé le surprendre, heureusement. Les sourires, les baisers qu’il nous a envoyés disent tout du moment qu’il a passé : pas le genre de la maison de simuler. Les Internationales de la guitare sont lancées sous de belles augures.
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14/09/2022
Time after Time.
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08/09/2022
MURAT LISTE DE VIE.
- 14.11.1993 Transbordeur, Lyon
- 18.11.1997 Salle Rameau, Lyon
- 14.12.1999 Le Transbordeur, Lyon
- 11.11.1999 Le Trianon, Paris
- 29.09.2000 Cave à musique Mâcon
- 16.12.2000 le Polaris, Corbas
- 13.04.2002 Transbordeur, Lyon
- 6.11.2003 Ninkazi, Lyon
- 19.10.2004 Salle Rameau, Lyon
- 19.03.2005 Ninkazi, Lyon
- 15.11.2006 Ninkazi, Lyon
- 24.09.2008 Bourgoin-Jallieu, Théâtre
- 21.10.2010 Centre Culturel, Saint-Genis-Laval
- 12.10.2011 Ninkazi, Lyon
- 16.03.2012 Bourgoin-Jallieu, les Abattoirs
- 8.10.2013 Radiant, Caluire
- 27.03.2013 Cave à musique Mâcon
- 21.06.2014 Villeurbanne, La Doua
- 12.10.2015 Théâtre de Villefranche
- 11.10.2018 Rockstore Montpellier
- 15.04.2022 Bourgoin-Jallieu Abattoirs
- 22.09.2022 Internationales de la guitare Domaine d’O, Montpellier
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