11/08/2015
Ecrits de Lyon (5).
Ils arrivèrent à la gare de Vaise dans l’après-midi, Lyon était dans la grisaille et le froid. On voyait poindre la cathédrale à travers un épais brouillard, qui enfermait les quais de Saône, le premier fleuve qu’ils virent de la ville. Beurrier les attendait, guettant la petite troupe originale qui contenait l’ingénieur dont il aurait besoin, pour les années à venir. L’homme, un peu plus jeune que Anton, scrutait d’un œil inquiet la foule des voyageurs qui descendaient, laissant les autres continuer sur Marseille et un hiver plus clément. Il avait l’air de ceux en qui on fait confiance du premier coup, ou pas. Anton ne se posa pas la question, remit le sort de sa petite famille entre ses mains. L’homme les dévisagea avec curiosité, mais eut le même réflexe, décida de se fier à la situation. Il leur souhaita la bienvenue, sans trop forcer sur le discours, qu’il déléguait à d’autres, au sein de son entreprise. Il visait principalement Anton, qui n’en attendait pas moins, et faisait peser, sans mauvaise attention mais sans envie de perdre du temps, le poids de sa délégation sur les services qu’il était supposé rendre, à court et moyen terme. Anton accepta le marché, qui ne dépareillait pas de ceux en vogue dans son milieu : soit on sert un projet, auquel cas on peut prétendre à un poste, soit on ne le sert pas, auquel cas on n’aura fait que prétendre. Ce qui, dans la branche, signait sa fin immédiate, via les interactions entre les corps de métier. Une fin à laquelle Anton, sans hésiter, aurait préféré la mort, celle qui avait pesé sur lui une bonne partie de son existence sans qu’il s’en rendît compte, qui l’avait préservé, ces derniers temps, mais qui portait, toujours, sur les frêles épaules d’un attelage iconoclaste. L’homme les reçut sans trop de ferveur : ce n’était pas un habitué des mondanités et seul Anton l’intéressait, dans le lot. Mais il était convenu qu’il les emmène, dans l’appartement qu’il leur avait réservé, à la Croix-Rousse, puisque tout partait de là. Trois Mors de type N - engrenages taillés en V, à denture hélicoïdale, dit-il à Anton, pour le tester - les attendaient, avec chauffeur. L’une d’entre elles repartirait avec Anton, une fois les autres installés : ils avaient du travail à faire. Les trois véhicules démarrèrent et l’impression de rentrer en conquérants dans la ville les comblait d’aise, malgré le froid. Les voitures longèrent les quais de Saône, la traversèrent et empruntèrent les Esses, avec difficulté. Ils remontèrent le boulevard de la Croix-Rousse, passèrent à proximité d’un gros Caillou qui surplombait la ville et arrivèrent place Colbert, où les véhicules s’arrêtèrent, s’attirant la curiosité des gamins du quartier, qui en observaient chaque détail avec des éclairs dans les yeux. Tous descendirent et observèrent l’endroit où ils allaient vivre, désormais, beaucoup moins chic que l’immeuble de la rue de Varenne. La place ne payait pas de mine, mais Beurrier, sèchement, leur dit qu’ils seraient bien, ici, ce qui signifiait que rien n’était discutable. De toute manière, c’était provisoire, ajouta-t-il : dès l’ouverture des Cités, si le projet se concrétise, vous vivrez là-bas, en plein cœur : c’est la moindre des choses, ponctua-t-il, sans qu’on sache s’il comptait s’approprier le principe. Ils entrèrent dans l’allée du 17, montée Saint-Sébastien sans enthousiasme, mais trouvèrent, au fond de l’allée, un appartement spacieux, aux plafonds hauts, avec des chambres tout autour d’une grande pièce à vivre et des fenêtres donnant sur la ville, vue d’en haut. Beurrier ne désirant pas s’attarder, Anton dit à son petit monde de s’installer. Il les retrouverait en fin de journée : le rythme allait s’accélérer, on voulait voir ce qu’il avait dans le ventre et il allait leur en donner !
Extrait de "Aurélia Kreit", à paraître un jour.
15:41 Publié dans Blog | Lien permanent
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