14/03/2015
Rare Eicher.
En d’autres temps, on l’aurait sans doute cloué au pilori, mais les anathèmes ayant trouvé d’autres terrains de jeu, on a laissé Stephan Eicher jouer les apprentis-sorciers le temps d’une tournée avec des musiciens conciliants et peu frondeurs, puisqu’automatisés. Lui, le Suisse que la France et moi avons découvert en 1986, bidouillant, déjà, des ordinateurs pour créer des boucles et y ajouter sa guitare et ses paroles aléatoires. Près de trente ans après, devant un parterre garni qui semble l’avoir suivi, également, depuis ses débuts, Eicher, à peine sorti d’une sublime tournée défendant « l’Envolée », reprend la scène, seul, en Docteur Folamour de la musique, recréeant une ambiance mi-laboratoire mi-coin du feu, commençant par jouer un ou deux morceaux à la guitare, ou au piano, qu’il dit découvrir, comme à chaque tournée. Ses musiques étant exclusivement concentrées, d’après lui, sur les touches du milieu, il ne voit pas l’utilité d’un si grand clavier, mais il en joue, et doublement. Cette tournée sera expérimentale, et il s’essaie au jeu de théâtre, scénarise ses prises de parole, va jusqu’à descendre dans la salle pour chercher de l’énergie ou du réconfort. Eicher, qui n’aura été star que le temps d’un malentendu qu’il a lui-même réglé, c’est le copain qu’on a, pétri de talent, et toujours en mouvement. Tellement en avance sur les autres qu’on ne sait jamais vraiment là où il est : ça tombe bien, lui non plus. Ce qu’il a cherché, c’est à jouer des machines avant qu’elles se jouent de lui. Piano droit, tuyaux d’orgue lumineux, percussions, glockenspiel, les instruments, personnifiés par les touches de lumière qui s’agitent quand ils sont en action, apparaissent au public sous des formes humanoïdes, programmées, mises en action en crescendo, comme de vrais musiciens, dont ils épousent les grilles et, dans le lightshow, les ombres, parfois. Le batteur fait juste six ou huit mètres de haut, les baguettes fixées sur, séparément, la caisse claire, les cymbales, le tambour… Tout s’agite, et la magie opère, sans le Noël qui va avec. Stephan, en suisse-allemand, ramène ses souvenirs d’enfance à la surface, le quatre-pistes que son père lui a offert, les heures qu’il a passées à empiler les idées. Jusqu’à ce que sa mère lui dise de venir manger, ou de ranger sa chambre : ce sera le leitmotiv de la soirée, de la tournée, aussi. En ravivant ses machines, Eicher enclenche le premier « pot-pourri » de sa carrière, avant même qu’il le joue en rappel. Cette configuration, c’est pour lui la possibilité de ressortir les vieilles chansons, celles de 86 ou d’avant (« les filles du Limatquai » en tête), des chansons aux paroles simplistes, écrites en français par quelqu’un qui ne le parlait pas. Il le parle mieux qu’il ne le dit, maintenant, s’amuse – décidément – des identités suisse et française, demande au public s’il le veut sérieux, méthodique et « un peu chiant », donc Suisse, ou passionné, fougueux et très désordonné, genre Français. Je vous laisse deviner le choix de la salle, évidemment. Les paroles de Djian rappellent à ceux qui l’écoutent qu’un auteur comme lui, c’est une aubaine pour la chanson française, et qu’on peut donc dire des choses profondes et bien écrites dans un art mineur. Merci. « Rivière » revient, un bout de « Silence » me procure une émotion intense, j’ai trente ans de moins, et c’est beaucoup, sur quarante-six. « Eldorado », ma préférée, retrouve le chaos musical qu’il avait construit avec deux batteurs et une programmation en final. Tous les standards sont repris, avec une mention spéciale pour « Déjeuner en paix », qu’on finit par ne plus aimer parce qu’on l’a trop entendue, mais qu’il réorchestre en ballade, avant de laisser ses C3PO finir le boulot. Il a maîtrisé la foudre, via les ondes lumineuses, sonores et électriques de Nikolas Tesla, a fait en sorte que le rayon ne le transperce pas lui, mais soulève le public, enfin. Seul, il réussit le tour de force d’être multiple, démultiplié. De démontrer qu’un musicien accompli peut jouer de et avec n’importe quoi. C’est jubilatoire et émouvant, tant l’homme est simple, suranné dans sa joie et son plaisir. Assumant son côté passéiste quand il parle de l’époque, qu’il préférait à l’actuelle, où on lisait des journaux parce que des journalistes y avaient produit de la pensée. C’était avant BFMTV, dit-il. Il n’y avait pas de portables non plus. Déjà, à Saint-Etienne l’année dernière, il avait interdit qu’on le filme, habilement, en demandant au public de ne sortir les portables qu’au dernier morceau, qu’il soit diffusé par tous. Là, hier (déjà), il est venu en dernier lieu chanter l’intemporel « Tu ne me dois rien » en demandant aux spectateurs de régler leur réveil trois minutes après le début de la chanson. Je ne l’ai pas fait : je pars avec ses dernières notes. Il paraît qu’il est de retour en octobre. On ne sait pas de quelle année : 86 ou 2016. Peu importe : j’y serai. Et je pars à Fleury chaud patate: quand j'étais petit, je voulais faire comme Philippe Djian, écrire des romans et des chansons.
PS: le photographe n'est pas référencé, sur le site de "Figaro". Je remplacerai le cliché par un de ceux de Stéphane Thabouret, revu hier avec plaisir.
00:32 Publié dans Blog | Lien permanent
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