12/04/2009
Los Abrazos rotos
Il faut parfois savoir se faire plaisir aussi. C’est pour ça que, de Séville, je ramène, - en plus d’une addiction avérée à « l’amertume de Don Juan, la perfection de Dionysos »* - quelques impressions du dernier Almodóvar, « Los Abrazos rotos » (« les étreintes brisées » en traduction française), vu à Séville, aux pieds d’un Stade Sanchez-Pizjuan que tous les tragédiens connaissent bien depuis 1982. « Los Abrazos rotos », c’est déjà un Almodóvar et ça se voit dès le premier plan, dans l’iris – qu’on ne sait pas encore atrophié – d’un homme à qui une blonde sculpturale vient offrir ses yeux pour une séance de lecture qui finira sur canapé, dont on ne verra pourtant que la crête, en un panoramique très design, le tout sur un ton rouge qui lancera la permanence du film. Cet homme, c’est Harry Caine, qui fut Mattéo Blanco et le redeviendra. Un écrivain reconnu, dont les romans sont prisés et à qui vient l’idée, en début de film, de la vengeance du fils de Marilyn Monroe et d’Henry Miller, à ce que j’ai compris. Une fausse piste pour que Almodóvar revienne à ce qu’il adore : des mises en abyme en veux-tu en voilà, des films qui se montent et montrent des films en train de se faire, un metteur en scène qui tombe fou amoureux de son actrice, elle-même épouse et redevable d’un mari producteur du même film, qui affecte à sa surveillance et au making-of (de tous les instants) son propre fils, homo refoulé et boutonneux. Vous suivez ? L’action se passe en deux temps, deux époques distinctes, entre 1992 et 1994 pour la période de flash-back, et aujourd’hui. La fatale, tout le monde le sait, c’est Penelope, qui montre ici, dans le rôle de Lena (waaah, comme dans « Conte d’été » !) qu’elle est une très très grande actrice, indépendamment du fait qu’elle est la seule preuve valable que Dieu existe. Lena et Matteo, dont la passion est telle qu’ils fuient tout ce qui pourrait l’empêcher et laisse le film qu’ils tournaient entre les mains du mari rejeté, qui en fera une arme de vengeance et de désolation. L’histoire d’amour est belle, Lena est magnifique d’abandon et de déchirement, l’échappée en Lanzarote, sur la Playa del Golfo, permet des plans d’une beauté du diable sur le sable noir. De tout cela, qui fut (et qui fut bien) seize années plus tôt, il ne reste à Harry qu’une identité à laquelle il a renoncé – morte en même temps que Lena – et quelques secrets, dont des photos déchirées, à reconstituer, au fond d’un tiroir. Métaphore d’un puzzle à reconstituer qui verra l’histoire imaginée de se réaliser d’elle-même, avec des jeux de paternité et de révélation dont je ne dirai rien ici.
La marque d’Almodóvar, en dehors de gros plans sur des tomates qui n’appartiennent qu’à lui, est partout dans ce film personnel, entre l’autofiction de « la mala educacion » et les étreintes déjà brisées d’un « Hable con ella ». En dépit d’un scénario qu’il aurait pu resserrer et donc de quelques longueurs, c’est un film qui marquera cette fin de printemps, jusqu’à sa sortie française (où il sera sans nul doute mieux reçu qu’en Espagne...). Parce que telles histoires ne s’écrivent qu’en aimant absolument l’actrice pour qui on l’écrit, qui le lui rend bien. La scène pendant laquelle Penelope coiffe la perruque de Marilyn n’est là aussi que la fausse piste que Pedro s’est plu à lancer. C’est quand elle soutient son père mourant, qu’elle se sacrifie pour lui, que Lena/Penelope est bouleversante, dans le face-à-face avec sa mère notamment.
Quant à la chanson « A Ciegas » – composée, comme l’ensemble de la BO par Alberto Iglesias et interprétée par Miguel Poveda – elle se situe d’emblée dans la lignée du « Cucurucucu » de Caetoano Veloso pour ceux qui voient ce que ça peut signifier. Elle clôt superbement, dans ces cinémas désormais désertés avant même la toute dernière seconde d’une émotion qui rappelle que ce qui suit un film d’Almodóvar, j...., c’est toujours du Almodóvar.
20:56 Publié dans Blog | Lien permanent
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