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15/09/2015

On air.

Voilà qu’il lui revenait, l’octosyllabe d’Aragon avec lequel elle s’était confectionnée sa première adresse mail, qui lui a permis de communiquer un temps avec lui, de tenter le continuum de la confidence sans l’émoi amoureux. Ça n’avait pas fonctionné : ils avaient même réussi à s’entre-déchirer pour des broutilles avant qu’elle décide de repartir dans les méandres de sa mémoire. Pour de bon. Et pour la bonne cause : elle s’était libérée de sa duplicité, recentrée sur sa vie et ses composantes. De temps en temps, elle avait une pensée furtive, se réjouissait secrètement d’avoir connu une telle passion, d’en avoir été l’objet. Elle ressentait, par-delà les océans, l’idée qu’il en avait fait un sujet, d’écriture, de mémoire, de permanence, mais puisqu’elle avait résisté à ses éditions, puisqu’elle n’avait plus envie de se reconnaître sans que ce fût elle, vraiment, elle reléguait tout ça avec une aisance inouïe. Sauf un vers : à la moitié du temps donné. Juste avant le pont de la chanson qu’il avait écrite, cette supplique, là, implacable, parce que d’ores et déjà désuète, à peine énoncée : pas parce que le temps qui nous est donné diffère selon que l’on a de la chance ou pas, mais parce qu’il est encore plus aléatoire d’en calculer la moitié. Cette phrase l’affolait, parce qu’elle lui revenait mécaniquement et, de fait, la ramenait à lui. Obligatoirement. Eh bien ! A la moitié du temps donné, qu’est-ce qu’il s’y passe ? Gagne-t-on en sagesse, en conscience de l’utile, distingue-t-on enfin, autrement que par aphorisme, ce qui distingue le sentiment de l’émotion ? Est-ce que c’est le moment précis où tout bascule, la middle Life crisis des Américains dont, précisément, depuis qu’elle habitait ici, elle n’avait trouvé nulle trace chez ceux qu’elle fréquentait ? Trop jeune, encore, pas assez brinqueballée par l’existence ? Et pourtant, elle en a vécu, des choses, dans sa vie, de ses allergies d’enfant aux sacrifices qu’elle a consentis, jeune femme, pour que son futur époux mène carrière. Avalé, des couleuvres, quand lui récoltait les lauriers d’une destinée dont il lui devait l’élan. Il avait fallu qu’elle manquât échouer, leur histoire, juste après qu’elle l’ait rencontré, l’autre, pour qu’il réagisse justement, qu’il comprenne que la perdre, c’était renoncer à tous ses repères. 

18:27 Publié dans Blog | Lien permanent

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