25/04/2015
Les ateliers Divonne (4).
Il n’y a que deux façons distinctes d’aborder un atelier d’écriture, à ma connaissance : la possibilité de laisser les membres s’emparer, à eux seuls, d’une partie du récit, au risque d’avoir, au final, des différences d’écriture troublantes pour le lecteur ; ou l’établissement, au départ et au regard des premiers textes regroupés en un chapitre, réécrit, avec la même tonalité, la même focalisation. De fait, le deuxième exercice est plus exigeant, et il a fallu une séance supplémentaire au groupe de Divonne pour que les choses s’éclaircissent. Que la structure du récit prenne corps, que chacun sache, une fois les derniers éléments de l’histoire validés, ce qui lui restait à écrire : en cercle réduit, puisque, pour la prochaine fois, deux membres travailleront en commun sur deux parties d’un même chapitre. La matière littéraire, elle, est toujours aussi riche, mais quand on en est à renoncer à des extensions pour se concentrer sur un récit déjà riche en soi, c’est que c’est bon signe. Tant mieux, parce que cette Gabrielle-là, comme ma précédente, celle de Marius Beyle, m’importe au point que je trépigne, parfois, de ne pas pouvoir m’en emparer moi-même. C’est un personnage complexe, Gabrielle, qui fuit la métaphysique de sa vie de femme entre deux âges en se réfugiant derrière les atours de son statut de physicienne : forcément, quand on veut tout contrôler de son existence, quand chacun de ses phénomènes se réduit, selon elle, à des atomes qu’on peut quantifier, quand le manque de confiance en soi se transforme en revendication envers l’autre, on n’est pas à l’abri d’une rupture de l’équilibre instable. C’est ce qui va se passer dans sa vie, un fait inattendu en entraînant un autre, et provoquant une série de réminiscences, dans l’habitacle de sa Mazda. C’est le personnage de son grand-père, son histoire, ses zones d’ombre, qu’il restait à affiner, aujourd’hui, en profitant de l’élan du groupe suisse, qui travaille en parallèle. D’une manière différente, avec deux modes d’écriture bien séparés. Une connexion ratée et un bon vieux téléphone de substitution plus tard, les plus anxieux des membres de l’atelier sont rassurés : on va pouvoir faire le lien entre les deux histoires, les éditer, plus tard, tête-bêche pour que le lecteur en lise deux pour le prix d’une et les recoupe, par connivence : cet Antonio, qui perd la mémoire de l’autre côté de la frontière, est-ce de Angelo, le grand-père de Gabrielle, qu’il parle quand il ne se souvient plus de rien mais veut revenir sur les lieux de ses méfaits, soixante ans après ? Pourquoi Gabrielle a-t-elle coupé les ponts avec ce grand-père si chéri, qu’a-t-elle appris de lui qui l’ait incitée à ne plus le voir, toutes ces années, et à se souvenir de lui, juste ce jour où elle trouve sa Mazda crottée de miellat, parce qu’elle l’a garée sous le vieil orme, sans faire attention, ce qui n’est pas son genre ? La satisfaction d’un tel travail, c’est de voir, peu à peu, les membres de l’atelier s’emparer d’un personnage, comme le fait un auteur. De visualiser ce qui reste à dire d’elle, sans tout dire, pour qu’un lecteur lambda se reconnaisse en elle et se l’approprie, à son tour. Il y a plus de confiance entre les membres et dans le projet qu’au début, même les approximations franco-suisses deviennent secondaires : elles se règleront d’elles-mêmes lors de la rencontre commune, double et dernière, fin mai. Après, il y aura encore du travail avant l’édition, mais j’ai bon espoir, et n’hésiterai pas à revendiquer ce travail-là, qui est le leur. Un des membres, le dernier sans doute à avoir besoin de quelqu’un pour écrire, anticipe même sur l’idée qu’une telle évolution dans un groupe reste sans suite : ce n’est pas de mon ressort, mais l’idée est lancée, elle est touchante et signifiante. Et Gabrielle tellement protéiforme qu’elle mérite bien une suite…
18:05 Publié dans Blog | Lien permanent
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