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Rechercher : Murat

176.

82EAF6BD-5B61-4FF5-93BF-0E9202C0B217.jpegIl y a quelque chose d’initiatique dans le fait, comme je l’ai toujours fait, d’aller voir des artistes tout au long de leur carrière, parfois plus de vingt fois (Eicher, Kent, Murat, le Voyage de Noz), parfois un peu moins, à peine (Barbara, U2, Springsteen, d’autres). Il y a des groupes qu’on voit une fois tous les 30 ans (Aurelia Kreit) et puis il y a des artistes qu’on a vu émerger et qui nous ramènent, toujours, à l’endroit où on les a entendus pour la première fois. J’aurai toujours le souvenir des Cerfs-volants, entendus à Kergaradec-Ar-Gor, de cet album d’un petit génie qui, disait-on, se prenait pour Gainsbourg. On a d’ailleurs toujours trop parlé de Benjamin Biolay sans aller le voir là où il donne sa pleine mesure, sur scène. Biolay à Fourvière, en régional de  l’étape, ça n’était pas la première fois, et rien ne vaudra - pour lui comme pour moi - le soir de 2008 où, en première partie de Cat Power, il avait foulé les planches juste en-dessous du Conservatoire qui l’avait mené là, avec émotion et une scène partagée - déjà touche à tout doué en rien, comme il dit - entre formation rock, quatuor à cordes et quatuor à cuivres. Depuis, de l’eau a coulé entre Saône et Rhône, et le petit Benjamin est devenu une pointure, au public conquis d’avance, à 98,7% féminin (j’ai compté), qui n’a rien contre un peu de bruelisation dans le jeu de scène et les adresses. Il est toujours touchant, Biolay, quand il cache sa pudeur derrière des attitudes et des blousons de bad-boy, et toujours juste quand il est au plus intime, dans le sublime « Ton héritage » ou dans l’hommage, permanent, à son mentor Hubert Mounier (« Voyager léger »). À Lyon, BB peut se faire lever un amphithéâtre a le seconde sur « Lyon Presqu’île », c’est cabotin mais ça fonctionne. La set-list est variée, et va jusqu’à Palermo Hollywood, propose une variante électro du mythique Cerfs-volants, faiblit un peu sur deux trois morceaux dispensables ou mal exécutés (Papillon noir, Duel au soleil). Tout le monde s’en fiche, entre deux scrolls de leur FB ou des conversations insignes tentant de recouvrir la musique, les filles s’ébaudissent et leurs mecs tentent de danser pour attirer leur attention. Le public est WASP, CSP+ (à ce prix-là, c’est obligatoire) et BB déroule, visiblement heureux d’être là, et on le comprend. Adé, d’ex-Thérapie Taxi, vient chanter « Parc fermé » avec lui, et c’est ce qui rendra le concert inoubliable, pour moi. Parce que le final, après un « Comment est ta peine » version disco assez démentiel mais plutôt attendu, les deux derniers morceaux, dont l’ultime rappel, sont moyens, et surtout remplacent « Ma route » (vas-y, demande à ta mère), que j’aurais attendu en vain. Mais c’est du délit d’initié, ça, il faut voir repartir ces quinqua remontés comme des coucous pour se réjouir aussi, apprécier la fin des mesures sanitaires, remercier l’organisation d’avoir permis de jouer quatre minutes après minuit. C’était un bon concert, pas dans mon Panthéon (le Transbordeur 2009, pour « la Superbe » - joué hier, qui fit croire que -  est inatteignable), mais marquant par l’impression que cet homme peut désormais faire ce qu’il veut quand il veut, sur scène. Une impression à double tranchant. J’attends de le croiser de nouveau devant Monoprix à Sète pour lui en toucher deux mots. Padam pam pam.

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08/07/2021 | Lien permanent

N'aie pas de regrets*.

Capture d’écran 2023-06-24 à 10.53.00.pngQuand on va voir deux fois consécutivement un artiste se produire sur scène, il y a deux écoles : un, on remonte le temps – pas grand-chose, dix, onze ans - et on retrouve le Boss sur la scène de Bercy, les 4&5 juillet 2012 pour deux shows de plus de 3h30 et de 30 chansons dont…10 identiques, seulement. Deux, plus fréquent, on se souvient de Kent sur la scène de la Croix-Rousse ou de Barbara à Mogador et on assiste au même spectacle, millimétré, jusque dans les répliques intermédiaires. Heureusement, Biolay en joue lui-même, ça n’est pas un grand communiquant et sa façon de le démontrer est chaque fois différente, quand les set-lits s’enchaînent et ne varient pas. De fait, là où on s’est placé, on peut s’attendre à l’entrée sur « la Superbe » et, peut-être, regretter qu’elle ne soit pas jouée avec autant d’intensité que quand elle clôt le spectacle. Un peu plus en hauteur que la veille, c’est l’assurance de voir la mer davantage, en partie intégrante du spectacle, mais c’est aussi prendre le risque d’être au cœur d’une assistance un peu mollassonne qui ne permet pas de suite d’entrer dans le concert. Et de regretter, plus que la veille, des choix de chansons moyens. C’est la liberté de l’artiste dans sa création, et j’ai accepté le principe depuis longtemps. Mais il y a un Biolay qui m’indiffère (dans ses textes) et un que je vénère absolument, que je retrouve dans « les cerfs-volants », dans « Ton héritage », évidemment – surtout quand son enfant vous rappelle à quel point tout est systématiquement fragile – ou dans « Comment est ta peine ? ». Même dans le choix des titres du dernier album, il manque, singulièrement, « Ton Ravel », même s’il a ajouté « Tes joues roses » à la liste de la veille - ainsi qu’un ou deux autres morceaux, dont un atrocement dispensable, pourtant joué sur la fin. Est-ce parce que le théâtre de la mer est (désormais ?) composé de personnes qui passent leur temps à se déplacer ou à parler entre elles, quand elles ne filment pas ? Est-ce parce que deux soirs de suite, quand on teste encore ses limites physiques, c’est un peu trop ? Il reste que deux de mes proches sont descendus dans la fosse, comme j’espère pouvoir le refaire, un jour, et qu’ils ont trouvé le concert exceptionnel quand moi je l’ai trouvé un poil fade. Jusqu’à douter de l’authenticité du garçon, qui peut répéter Sète tout le temps mais n’a finalement rien fait d’exceptionnel pour les deux soirées censées célébrer in situ un album qui porte une partie de son nom et de son imagerie. A Fourvière dans quelques jours, il dira aussi qu’il est chez lui, et terminera également, qui sait, sur « Saint-Clair », même si hier il y a ajouté « Numéros magiques », pour clore. Moi j’ai trouvé qu’il était encore tôt, mon camarade de la fosse m’assure qu’il a plus joué que la veille. C’est le jeu des concerts en série, le prochain chassera celui-ci, et l’équilibre se fera peut-être de lui-même, entre les titres.

PS : fantasmer de mois sur le « + invités » indiqué sur la place, imaginer qu’on reverra, avec lui, les Poupaud, Mastroianni & Co passés chanter Parc Simone Veil et finir avec deux premières parties très moyennes, dont la pathétique et horripilante Alice & moi, hier, n’aide pas à une meilleure perception d’ensemble, c’est certain.

*Et pendant ce temps, au stade des Ténèbres, à Lyon, le visage de Jean-Louis Murat illuminait l’écran géant du concert de Mylène Farmer…

PS2: la superbe bassiste de BB s'appelle Nathy Cabrera et son acolyte (aux claviers) Sheba. Nathy joue bien mais ça n'empêche pas Almosnino de s'emparer de la Hofner pour accompagner "Ton héritage".

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24/06/2023 | Lien permanent

Deux heures et des poussières.

IMG_2474.jpgJe disais récemment que j’aurais beaucoup de mal à dépasser le stade du 22e concert de Benjamin Biolay, pour ne pas avoir à (me) dire que je l’ai vu plus que Jean-Louis Murat, qui doit rester, sinon immortel, l’artiste de ma vie en concerts. De fait, j’ai dû reprendre mes listes pour savoir combien de fois j’avais vu le Calado-sétois en live et ça n’était finalement que la 11e fois que j’allais à sa rencontre, ça laisse de la marge. J’y suis allé en claudiquant, confrontant mes vertiges, pour la première fois, à l’épreuve d’un grand rassemblement, et j’ai profité autant de mon statut – pour éviter la file d’attente – que des épaules de mes amis pour ne pas perdre l’équilibre. Opposer à la fatigue plus rapide la joie de revenir à ce qui fait l’essence de mon existence, ces musiciens qui entourent l’artiste aussi fragile et généreux sur scène qu’il s’efforce de paraître puant à ceux qui ne le connaissent pas. Et qui, depuis son premier 45t, en 2001 – « les cerfs-volants » - aligne les standards comme d’autres les chemises à motif, comme la noire qu’il arborait hier en hommage à Elvis, coupe de cheveux comprises. Voilà un homme capable d’ouvrir ce premier des deux concerts tant atendus, dans la ville à laquelle il a consacré son dernier (double) album, « Saint-Clair », par le sublime et générationnel « la Superbe ». Il a le trac, il le dit, mais il se détend parce qu’il sait qu’il va passer « une bonne soirée ». Et tout est fluide, jusqu’à ses petits pas de danse de boxer un peu pataud. Il a une nouvelle formation qui ne va pas arranger sa réputation trufaldienne, avec deux sublimes musiciennes sud-américaines, aux claviers et à la basse (comment retrouver leurs noms sur Internet, pas simple…) et les fidèles Jaconelli, Almosnino & Entressangle aux guitares et batterie pour bétonner un son solide, résolument rock pour sortir des ballades qu’il concède. Il y a une première surprise avec l’arrivée de Marie-Flore pour chanter en duo cette superbe chanson de la première : « Je sais qu’il est tard ». La set-list est originale, il y a des titres de la première heure, des morceaux qu’il n’a pas joués depuis longtemps, « Si tu suis mon regard », un « Parc fermé » sans Adé mais qui fait (déjà) se lever un théâtre (déjà) acquis. Évidemment, quand on amène un synthé et que Almosnino se met à la basse Hofner pour accompagner, en formation complète, le panthéonesque « Ton héritage » (peut-être parce que chacun se l’approprie, cette chanson), ça donne déjà un concert que personne n’oubliera, et certainement pas lui. Il ne peut plus qu’achever la foule dès les premières mesures de « Comment est ta peine ? », reprise ad libitum – il faudrait qu’on apprenne à vivre avec ça-a-a-a-ah – jouer un peu de lui-même avec les Sète répétés pour montrer (il est filmé) qu’il est aussi chez lui aussi et que ça signifie quelque chose quand on a écrit dix-sept titres sur l’île singulière et sa colline sacrée, St Clair. Qui clôt le dernier rappel et le premier concert des deux. Triomphalement, même avec un dernier refrain chanté avec un micro muet.  Cinq heures et des poussières, Saint-Clair Six heures et des poussières, Saint-Clair Sept heures et des poussières, Saint-Clair Huit heures et des poussières, Saint-Clair, ça reste en tête, jusqu’au lendemain. Ça tombe bien, il revient. Et moi aussi : je n’ai pas failli ne plus jamais le revoir pour ne pas en profiter pleinement. Même assis, en titubant.

PS : pas revu Bruno après le concert, mais à sa moustache quand BB a chanté « les amoureux des bancs publics », pas certain qu’il ait été dans son élément, hier.

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23/06/2023 | Lien permanent

Initiales B.B

Bertrand Betsch ne va pas aimer l’analogie, mais il est à ma vie d’homme ce que Barbara fut à mes années d’adolescence (et la post, la pire, celle qui court jusqu’à 25 ans bien tassés) : un rendez-vous qui s’est fait par hasard une première fois et qu’on n’a jamais démenti. Il est assez facile, dès lors, d’en tirer une certaine gloriole, de regarder d’un air entendu celles et ceux qui le découvriraient. C’est un peu tard, jeunes gens… Sauf que la trajectoire de ce BB là n’est pas linéaire, loin s’en faut. Découvert en même temps que naissaient à un public averti les Dominique A et autres Philippe Katherine, l’auteur-compositeur-interprète, auto-proclamé poète « de basse renommée » a vite endossé le rôle du loser magnifique, pétri de talent dans l’écriture mais pas disposé à faire les concessions, question d’époque : une conviction qu’il analysera lui-même dans « la tristesse durera toujours », paru chez « la machine à cailloux ». en 2007. Mais sa biographie, souvent cynique et gentiment faussée, existe partout, elle importe peu, ici. Il n’empêche que j’ai donc croisé Bertrand Bestch en 1997 au théâtre de Mâcon et que depuis la « soupe à la grimace » - le titre de son premier album, mythique pour bien des personnes de ma génération, donc de la sienne – je ne l’ai jamais quitté : de salles un peu prestigieuses en lieux plus confidentiels jusque, ce dimanche, au petit bar du « Whisky, Cassoulet & Ping-Pong », dans ma Croix-Rousse natale, ce dont il se foutra. Bertrand Betsch, en 2004, fut victime d’un malentendu : sa chanson « pas de bras, pas de chocolat », remixée en dance edit, fut diffusée en radio et faillit connaître le sort que connaîtra, quelques années plus tard, le « j’adore » de Katherine. Sauf que lui, BB, n’y aurait sans doute pas survécu : on ne surmonte pas facilement l’imposture d’être aimé pour ce qu’on n’est pas. C’est ainsi que, avec Superflu il y a deux ans, seul dans des endroits interlopes maintenant, Bertrand a lui aussi repris la scène, avec ses chansons ciselées, son humour froid et – plus qu’avant – une auto-ironie tout a fait mordante quand il se décrit comme « cassant », « distant », « absent », « moins bien que les autres » mais avec en lui un feu sacré et inaltérable, de ceux qui font que, quelques soient les douleurs et les accidents, le mot tombe juste, n’est jamais putassier et provoque chez celui qui l’écoute les mille et une interrogations qu’il n’a jamais voulu se poser. Bertrand Betsch, qui chante le psycho-killer comme le bébé mort, jongle avec ses références, alterne le mot chiadé et celui courant, illumine le tout d’une voix d’une clarté reconnaissable entre cent, avec cette capacité de laisser la syllabe s’étirer sur deux ou trois mesures, le temps du métalangage. Chez Betsch, en concert, inutile d’attendre la chanson type : s’il en est deux ou trois qui ont marqué les esprits, peu de chances qu’il les joue, d’ailleurs. On passe vite à autre chose chez cet homme-là, et même en confiance, il faut que la misanthropie suive de près, précaution oblige. Quitte à ce que plus personne ne le croie.

Hier, c’est donc un impromptu de Lyon que Bertrand Betsch nous a proposé ; avec son accord, j’en publie quelques extraits alléchants : des nouveautés, beaucoup, maintenant qu’il a retrouvé - après une pause dans l’obligation, contradictoire, de gagner une vie qu’on nous a pourtant donnée – un manager et une joie de jouer communicative. Une heure trente passée avec lui, je ne peux pas dire à quelques mètres puisqu’il n’y en avait pas un d’écart entre lui et moi, qui tentais de me faire tout petit. Je n’ai rien raté de cette vingtaine de chansons qu’il a chantées. Je me suis « fait connaître », rapidement, une fois le concert terminé, mais n’ai fait valoir, bêtement, que mon ancienneté. J’aurais pu échanger avec lui sur le monde du roman qu’il a tenté, lui aussi, d’intégrer : nous en sommes à deux chacun, après tout, d’après sa bibliographie ; dommage, aussi, qu’il ait dû quitter Lyon avant mercredi : je l’aurais bien vu écouter Hostettler jouer « au-dessus des eaux & des plaines » dans une situation identique. Comme ça, pour voir… Enfin, Barbara l’a dit avant lui, même si lui ne le dit justement pas : il faut bien qu’il parte pour que je le voie revenir. A un moment ou à un autre.

Le reste est là : http://www.bertrandbetsch.fr/

PS : en quelques jours, Sami Frey, Bertrand Betsch et Jean-Louis Murat, sans oublier mes amis de Deuce, de Nar6 en formation réduite et « la partie de cache-cache » à présenter, la vie s’accélérait-elle ?


Bertrand Betsch - Concert Lyon 17.10.2010 5 titres
envoyé par cachardl. - Regardez la dernière sélection musicale.

 

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18/10/2010 | Lien permanent

Je pars pour de longs mois en laissant Margot (1/2)

J'ai participé, il y a quelques années, maintenant, en filigrane et toujours en décalage avec l'actualité, à la merveilleuse revue de cinéma "La Berlue", que Luc Hernandez menait avec maestria. J'y ai rédigé quelques articles oubliables, et un qui l'est moins, puisqu'il rendait compte à la fois de l'admiration que j'avais (et ai toujours) pour Eric Rohmer et de l'affection que j'ai gardée pour "une" de ses actrices, Amanda Langlet. Je reproduis (et retape en l'état) ici l'article extrait du n°27, d'oct. nov.99 : 60 pages, 20 francs...

Quand Amanda Langlet se livre sur son métier d'actrice, sur un passé rohmérien et un avenir qui s'inscrit en pointillé, on n'est plus vraiment dans "Pauline à la plage", mais on n'est pas très loin, par contre, de Margot, la confidente de "Conte d'été": quelque part entre la vérité qui fuse et la confiance qui s'instaure. Ne serait-ce que pour cet art du dialogue, jamais actrice n'aura sans doute autant mérité l'appellation aussi galvaudée qu'elle peut être réductrice, d'actrice rohmérienne.

Image 1.pngJe dois dire que ça a commencé comme ça. Nous étions en septembre 1998 et toute une presse s'extasiait devant des actrices censées représenter la nouvelle Nouvelle Vague du cinéma français; que du beau monde, à vrai dire, mais qu'il était surprenant de voir élevé au rang de stars. Des stars très simples, nous disait-on, mais très porteuses aussi. Sandrine Kiberlain, Virginie Ledoyen, Elodie Bouchez posaient toutes les trois à la Une de Première et quelque chose me gênait là-dedans. Pour qui a vu la petite Elodie se hisser sur les planches du Transbordeur, il y a quatre ans maintenant, et chanter avec Jean-Louis Murat un morceau de la Bande Originale de "Mademoiselle Personne", pour qui se souvient de Sandrine Kiberlain se retournant rue de la République pour le dernier plan de "En avoir ou pas", il y avait comme une intrusion, pire, une défloraison.

Et puis, tout simplement, j'ai rencontré Amanda Langlet. Parce qu'on rencontre simplement Amanda Langlet. On ne l'attend pas des heures dans les salons aseptisés d'un grand hôtel lyonnais ou parisien, on la croise au détour d'un petit festival de cinéma qui programme "Conte d'été" juste avant "Conte d'automne", en toute logique, et puis on l'écoute parler du cinéma de Rohmer, de Rohmer lui-même et de son métier d'actrice. Et puis, puisqu'elle est "bavarde" et l'avoue volontiers, on la laisse faire parce qu'elle s'avère passionnante, et très solidement ancrée dans une réalité qui ne désavoue pas ce personnage de Margot auquel, quand les lumières se rallument, elle finit par ressembler autant qu'elle s'en distingue. On aimerait être Gaspard à la place de Melvil Poulpaud pour que la conversation devienne excusive et se poursuive sur les rivages de Saint-Enogat. Et puis on se console, parce que la parole d'Amanda survit à la mise en scène de celui qui a su la filmer. D'ailleurs, pour elle, "ce sont les gens qui enferment les acteurs dans Rohmer", et si elle témoigne volontiers que l'auteur sait se servir de ceux que peuvent lui apporter ses comédiens, elle sait que la distance inhérente au métier d'acteur est respectée comme partout ailleurs: "c'est ma façon de parler mais ce ne sont pas mes mots". Simple tautologie, ou manière élégante d'évacuer les questions qui ne manquent jamais d'arriver quand un Rohmer est au programme: est-ce que vous improvisez quand vous parlez? Vous croyez qu'on parle comme ça dans la vie? etc. Amanda y répond simplement, encore, répète que la part de spontanéité apparente est "une impression fausse", que les acteurs "doivent faire preuve d'une grande connaissance du texte parce que celui-ci est écrit à la virgule par Rohmer", ce dont témoigne la parution récente des scénarii des Contes des quatre saisons dans la Bibliothèque des Cahiers du cinéma.conte_d_ete_1995_diaporama.jpg

On rompt ainsi avec un syllogisme qui veut que parce que Rohmer, en une scène, celle du repas dans "le Rayon vert", a joué sur la spontanéité et le dialogue direct, et qu'il a reproduit ponctuellement l'entreprise, notamment dans certaines scènes de "Conte d'été", Rohmer est un metteur en scène qui improvise. "Bien sûr", les mouvements de caméra sont préparés, même si leur application ensuite est toute rohmérienne, avec "un plateau en bois, et cette caméra fixée sur une charrette, poussée par Eric lui-même", ou encore "ce travelling, dans "les rendez-vous de Paris", fait sur un fauteuil d'handicapé". Et notre phrasé rohmérien, alors? "La seule conséquence d'une prise de son directe, sans post synchronisation, et l'obligation de couvrir le bruit des mouettes, et de la marée qui monte"... Quand les mouettes ruinent la critique, c'est toute une légende qui se trouve mangée au mythe!

eric_rohmer.jpg"Eric", Amanda l'a croisé tout aussi simplement que nous l'avons rencontrée elle. Par une espèce de "chassé-croisé" qui l'a vue envoyer une photographie au réalisateur, lequel l'a ressortie par hasard quelques mois plus tard et a décidé que Pauline, ce serait elle. Alors, il l'a appelée. Un jour, sur son répondeur, elle a entendu "Allo, bonjour, c'est Eric Rohmer". Une belle histoire. Parce que les castings, chez Rohmer, "ce sont souvent les actrices qui les font: elles lui écrivent, et lui demandent de tourner pour lui". Elle, elle a eu une place un peu privilégiée, parce qu'il l'a prise sous son aile paternelle, du fait de son jeune âge; elle a un peu grandi avec lui, parce que leur relation a dépassé les "cinq semaines de tournage consacrées à Pauline". Quand elle va voir Rohmer, Amanda ne lui parle pas spécialement cinéma: ils conversent, il lui parle d'un livre qu'il a lu, elle lui parle de l'actualité. Ils parlent de tout, "rien de spécialement intéressant", selon elle. On aimerait voir... Avant "Conte d'été", quand elle lui demande à quoi "va ressembler le film", il lui répond: "au scénario", par coquetterie et goût du mystère. Rohmer, nous dit-elle encore, "c'est quelqu'un de fondamentalement drôle, dans sa vie et dans ses films", un "homme de culture", de plus de quatre-vingts ans, "qui se fiche de sa position dans le cinéma français", déteste qu'on lui libère une place dans le métro et "affole les vendeuses" d'un grand magasin en choisissant des maillots de bain pour ses personnages féminins, qu'il voulait filmer "avec une unité de couleur". Léna, l'absente, sera en bleu, Margot, la confidente, en rouge, principalement. S'il le faut, sur l'instant, il lui prêtera même sa casquette chinoise, un peu grande pour elle, mais qui accentue ce côté mutin qui pousse Margot à regarder Gaspard et à lui dire: "Eh bien, réalise-toi à moitié si tu ne le peux pas pleinement. Tu arriveras peut-être aux trois quarts d'existence, avec un petit effort!".


podcast

(...)

 

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16/02/2011 | Lien permanent

Qu'il est dur de défaire.

CM.jpgDrôles d’enchevêtrements que ceux qui composent les Roses fauves, le quatrième roman de la (toujours) très attendue Carole Martinez, une auteure rare dans les deux sens du terme. Un roman qui reprend l’argument de son premier ouvrage, le Cœur cousu, une tradition espagnole qui consiste à enfermer les secrets des femmes dans des espèces de coussins qu’on transmet de mères en filles (aînées) sans jamais s’autoriser à les ouvrir. On pourrait croire, d’entrée, à une forme de facilité – reprendre le sujet qui a fait votre succès - mais Carole Martinez va plus loin en entremêlant des récits, celui la mettant en scène elle-même, en résidence d’écriture à Trébuailles, au cœur de la Bretagne, celui qu’incarne Lola Cam (la boiteuse, en breton), la guichetière de la Poste, au village, laquelle détient, dans son armoire tueuse les secrets de toutes ses aînées, et particulièrement celle dont le cœur s’est décousu, s’offrant littéralement à la romancière. C’est celui d’Ines Dolores, de la lignée de toutes les Dolores puisque le même prénom a été donné à toutes les filles de toutes les générations, dans cette famille. Partie des terres d’Andalousie pour échouer dans les secrets sculptés d’une armoire bretonne. Dans les Roses Fauves, on assiste ainsi à une transmission permanente, traitée, par allégorie, sous le sceau du jardin et de l’évolution des roses. Au parfum âcre, busqué, fauve. Celui du père qui le mérite ou de l’amant qui les sublime. Ces cœurs où, écrit l’auteure, « nul n’est allé fourrer son nez », la romancière en résidence - qui n’écrira pas le roman sur Barbe Bleue qu’elle est venue écrire – en fait le sujet d’un roman qui réconcilie, sous sa traduction simultanée, Lola Cam, qui a renoncé à elle-même, et son aïeule, l’histoire qui les a engendrées toutes les deux. Une histoire folle, d’amour, d’exil et de mort eux-mêmes entre-cousus : une jeune fille qui donne au jeune anarchiste gisant sur le bord de la route l’amour qu’il se plaignait de n’avoir jamais connu ; il l’enfante en retour, jusqu’à ce que ce secret devienne tradition. Dans les Roses Fauves, on couche toujours avec des morts – disait Ferré – jusqu’au sein de leur mausolée. Et les histoires s’entrelacent, les unes dans les autres, celle de Dolores, aux chapitres d’abord numérotés puis laissés tels quels à l’approche de la mort, celle de Lola, aussi prolixe avec la romancière qu’elle est mutique à la Poste, laissant les Causeuses parler (en italique, dans le texte) pour elle, et celle, en filigrane, de l’écrivain, qui voit son sujet initial lui échapper au profit d’un autre, les fantômes de l’histoire la poursuivre jusque sur son chemin du retour, dans la nuit, et son imagination compliquer sa vie réelle, Laurent et les enfants laissés à Paris. En plus d’une histoire qui tient les routes multiples qu’elle emprunte, Carole Martinez nous offre, dans les Roses Fauves, une réflexion sur la fiction et la réalité (ce qu’on écrit dans un roman est toujours un peu vrai), avec une pointe de moraline sur ce qui serait autorisé ou pas dans l’exploitation de la vie d’un(e) autre, d’une « œuvre commune avec le personnage ». Le style lui-même est disruptif, comme le récit, les époques, les pans d’histoire. Au présent de narration, phrases courtes ou nominales quand l’auteure s’interroge, dans un mode plus élaboré, paradoxalement, quand Dolores livre la vie qu’elle a vécue sans finalité aucune qu’elle fût lue (j’écris ma vie que nul ne lira jamais)Qu’est-ce qu’on risque à découdre un cœur, s’interroge la romancière ; je suis la gardienne d’une histoire que j’ignore, lui répond Lola. Ensemble, elles en égrènent les étapes, ressuscitant des personnages colorés et atypiques, sur des terres celtes : Lucía, la Niña, les soleas, le Duende… Une Canción del jinete (lequel apparaîtra, en finale) en la luna negra du jardin : ¿Dónde llevas tu jinete muerto? Une femme morte dont le mari sculpteur veut retracer la beauté dans les arbres. Les parfums qu’on retrouve, que la mémoire recrée, aussi. L’écrivain et son personnage ont semé des graines qu’une seule des deux exploitera, dans un livre que, comme les autres, elle aura du mal à lâcher. On le suit dans l’histoire – malgré les avertissements (au lecteur) de l’ennui qu’elle pourrait susciter – comme dans la métaphore horticole, un peu de Murat en tête (« Vîmes roses trémières allumer un grand feu »), on ne se refait pas, et en plus ça correspond. On aime les deux Histoires croisées, l’espagnole en marche – jusqu’à la Retirada, dernier repère connu - la bretonne, sédentaire. On sourit aux clins d’œil à Miguel Hernandez via Paco Ibañez, moins aux souffrances que le pays a connues, ni à ses contes et légendes féodaux, cruels. Sommes-nous tous d’un même sang que la terre boit et recrache dans la couleur des roses ? interroge Dolores, dans son journal décousu. Les Roses Fauves interroge autant la mort qu’il redonne la vie, aux couleurs du jardin comme à celle qui accepte, au bout du compte, de le laisser en friche pour mieux renaître, de sortir de la droiture à laquelle on l’a condamnée, elle qui n’a jamais marché droit : elle casse les élastiques si peu élastiques qui la contraignent. Là encore, on est en droit de se demander si l’auteure ne parle pas d’elle-même, comme Esclarmonde, dans son Domaine des murmures, parlait aussi d’elle-même, et de toutes les femmes. La fin, la chute, je ne les dévoilerai pas ici, je les laisse au lecteur. Qui ne dissociera plus l’auteure de son héroïne, et vice-versa. C’est l’ambition de l’écriture. En ce jour de sortie, qu’elle soit rassurée : le quatrième découle des trois autres, et n’en rougira jamais que comme rougissent les roses : ça s’appelle une œuvre. Comment fonctionne l’oubli ? demande Nelly, la logeuse, vers la fin. Pas comme ça, lui répondrais-je, en fermant le livre.

Carole Martinez - Les Roses fauves, Gallimard, 21€      Sortie aujourd'hui.

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20/08/2020 | Lien permanent

Mais mort ou vif...

IMG_0639.jpgIl y a des domaines dans lesquels la fidélité est encore plus parlante que dans le couple. En Art, par exemple, quand il s’agit de suivre la carrière d’un être dont on a connu les débuts. Voir comme il évolue, comme ses choix s’affirment, varient, s’épuisent, parfois. Il y a des chanteurs ou des chanteuses que j’ai vus des dizaines de fois depuis près de quarante ans et dont je ne me suis jamais lassé : Jean-Louis Murat, Stephan Eicher, le Voyage de Noz ; d’autres que j’ai lâchés après des années de route commune, pour des raisons différentes : Miossec, Kent. Il y a ceux qui m’ont quitté alors que je les aurais bien côtoyés encore : Barbara, Bashung. Ceux que j’aurais pu ne jamais voir avant qu’ils partent : Ferré, Trénet, les deux dans le même écrin qui accueillait Benjamin Biolay hier, en régional de l’étape, à l’Auditorium Maurice Ravel. Un lieu qui ne bouge pas, dans son architecture post-sovietique et son acoustique à tout rompre. Biolay, chanteur-crooner de variétés, accompagné par l’Orchestre National de Lyon, c’était un rendez-vous qui promettait, rappelait des moments importants de la chanson française, Sanson ou Sheller en symphonique, par exemple. À 20h pétantes, après ces moments privilégiés où le spectateur voit s’assoir, s’organiser et s’accorder quatre-vingt musiciens très hiérarchisés, première violoniste en tête, Philippe Delon, chef d’orchestre flamboyant en sus. Biolay, en smoking César, intimidé, limitera son jeu de scène à sa façon d’arpenter, comme toujours, les quinze mètres qui le séparent, à sa droite, de Pierre Jaconelli, son guitariste et à sa gauche de Philippe Almosino, son autre guitariste, en faisant mine de vouloir en découdre. Serrant ses deux mains sur son cœur pour remercier ses fidèles de lui offrir une vie comme ça, et la possibilité d’avoir derrière lui ces musiciens millimétrés qui ne lui laisseront pas la liberté qu’il a sur une scène rock, mais inscriront ses mélodies dans la part de Sacré qu’elles révèlent. L’entrée sur « Négatif » et son crescendo laisse imaginer bien des choses, des envolées lyriques et, dans la salle, le public est essentiellement féminin et déjà en transe. Qu’il enchaîne sur Lyon presqu’île est quasiment un dû, ici, et, si ça fonctionne, il manque un petit quelque chose qui fait que ça ne décollera jamais vraiment : des morceaux (forcément) bien interprétés, mais qui retombent vite, trop vite, comme les mythiques « Cerfs Volants » ou le sublississime « Ton Héritage », la chanson dont chacun est persuadé qu’elle a été écrite pour son fifils ou sa fifille. Il y a tous les ingrédients, mais l’interprétation est presque contrainte, sans doute liée à la structure réglée des morceaux rendus classiques. BB, qui n’a jamais vraiment su quoi faire de son corps sur scène, bat le rythme de la main et colle un peu trop aux feuilles de son pupitre : on finira par lui reprocher. La réception est complexe, également : un concert assis, un public sélect à qui Lennon aurait demandé de secouer ses bijoux, on projette davantage l’incendie qu’on le vit réellement. Mais ça marche quand même parce que les chansons sont belles et qu’on les découvre sous des formes inédites : « Comment est ta peine » fait se pâmer les femmes, les hommes qui les accompagnent aussi, et il y a – quand même – deux faits d’armes auxquels on pouvait s’attendre, au vu de leur construction : « À l’origine », long tableau post-apocalyptique, se termine en hallali musicale, et « la Superbe », chef-d’œuvre éponyme de l’album du même acabit, est sans doute le morceau qui justifie depuis quinze ans, qu’on accompagne un jour cet homme et ses chansons de la façon dont ils le méritent : avec cette organisation politique hypra-structurée qu’est un orchestre symphonique. Sans doute a-t-il, pour cette première, mesuré le chemin parcouru, sans doute a-t-il été un peu impressionné ? Ceux qui le verront ce soir le diront. Moi, je continuerai de le croiser sur le quai de Bosc, devant Monoprix, ou sur le stand d’Olivia, à la brocante. Et d’aller le voir sur scène cet été, sans doute. Après le Voyage de Noz à À Thou Bout d’chant, puisque j’ai appris hier que Pétrier et sa bande allaient y jouer début juin. Pétrier, qui n’aime pas Biolay, qui aimerait certainement Pétrier, s’il le connaissait. On y croisera peut-être Thaïs Té, chanteuse croix-roussienne, que BB a invitée à chanter « Brandt Rhapsody », en lieu et place de Jeanne Chéral et « la Ballade du mois de juin » en remplaçant Chiara. Rien que ça. Mais bon, BB s’est bien pris, le temps d’un récital, pour Sinatra (« It was a very good year », dans un anglais, euh…) et pour Luis Mariano (« C’est magnifique ») : ça n’était pas les Beatles au Palais d’hiver, en 65 – private joke – mais c’était important d’y être, je crois.

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19/02/2022 | Lien permanent

Les Beaux restes de son Altesse.

Capture d’écran 2024-05-01 à 07.47.35.pngAujourd’hui, c’est le 1er mai. Le jour des muguets, du farniente et des défilés dans la rue, au soleil (auto-conviction). Mais c’est surtout, dans ma mémoire immédiate, le jour où, l’année dernière, je rejoignis le centre de rééducation, à Bourgès, après ma première perm’ (le terme est militaire, comme ma coupe de cheveux de l’époque, mais exact), un jus d’oranges pressées chez Boule et des moules farcies au ThauThem, après 30 jours d’hospitalisation, 10 jours avant ma sortie définitive. C’est aussi, aujourd’hui, le jour qu’a choisi Stéphane Pétrier pour sortir – enfin – le premier morceau de son projet solo, l’Homme coupé en deux, les Beaux restes, une sorte d’a-contrario célinien des Beaux draps qui dit combien le temps qui nous reste est précieux, tant qu’on peut faire les choses essentielles qui sont de respirer, humer et aimer. On a tous (et surtout moi) de fortes propensions à s’accaparer une chanson, si tant est qu’elle corresponde à nos humeurs du moment, aux crises que l’on traverse etc. Ça n’est pas celui qui vient de publier une ode à la Cantate qui va dire le contraire, et je dois ajouter que mon camarade Jean-Yves, qui a eu – comme le Jean du morceau – le mauvais goût de nous quitter brutalement a ajouté un degré de complexité en préparant, pour son enterrement, un p… de concert gratuit de 7 titres à écouter dans leur intégralité, sans faiblir, même au moment de l’Ange déchu, qu’il aura rejoint. Ici, c’est Jean qui, s’il était encore là, conseillerait, via un tiers, au protagoniste des Beaux Restes d’y aller, puisque la vie file, puisqu’elle va vite, qu’elle éclabousse tous ceux qui s’y collent. Et qu’elle décompte, via le tam-tam de nos cœurs, symbole des émotions et de la possibilité que ça lâche. Comme ça, pfuiiit. Il est question d’un amour dont cet imbécile à qui il faut tout dire dénie encore l’évidence – elle ne rêve que de ça et toi tu fonds à chaque battement de tes cils – et qu’il faudra qu’il vive sous peine de ne pas mettre à profit la chance d’être en vie et de donner. Il se trouve, je peux le dire, maintenant, que l’auteur de cette chanson et son producteur m’ont fait l’amitié de m’en envoyer la maquette il y a un an (et des poussières) et qu’écouter cette élégie au temps restant m’a aidé à me remettre debout, pas à pas, à réapprendre à goûter à la moindre des voluptés de la vie. Pour moi, pour ceux qui m’aiment et aussi pour ceux qui n’auront pas eu la chance de continuer le chemin. Celui qu’emprunte ce chanteur enfin seul – déférence gardée envers son Voyage de Noz – sur un tapis de course, images (un poil didactiques) à l’appui, derrière. Il marche, court, finit un poil essoufflé, sans duper personne. Entre temps, dans ces Beaux restes, il associe Truffaut à Sheila & Ringo, fait rimer Paris & paries avec une audace hugolienne (celle de tombe et tombe) et mène sa (fausse) bluette avec maestria. Je souris aujourd’hui de l’évolution du morceau et de mon privilège – à venir – d’en réécouter tous les jours la version originale, non mixée, plus brute. Moins publique. Mais j’arrêterai vite : je déteste l’appropriation, je l’ai dit, et son Altesse – puisque c’est ainsi que je l’appelle – pourra témoigner que j’ai mis 20 ans avant de l’aborder. À un concert de Murat, tiens. C’est devenu un ami, qui m’a fait l’immense cadeau de la chanter, les Beaux restes, au Mangeur d’étoiles, en novembre, quand je présentai Aurelia Kreit. En exclusivité, sans doute, mais partagée avec tous ceux qui étaient là. Qui l’ont vu accepter de jouer juste avant Tito – ou derrière, c’est selon – comme à l’époque. Ça dit tout de la nature et de la longévité du garçon, de l’impatience avec laquelle j’attends la suite de son projet. Auquel participe, entre autres musiciens talentueux, mon copain de (petite) école, Denis, à la batterie, histoire de prouver qu’on est encore vivant, le verbe haut et le reste. J’étais encore alité quand Stéphane m’a également dédié le Train, au Transbordeur, ainsi qu’à Jean : si j’ai eu plus de chance que lui, j’en suis conscient, en fraternité, sans l’avoir connu. Le 24 mai, je ferai la route jusqu’à la Casa, parce que je ne peux pas rater ça. On peut donc attendre une -simple – chanson un an en l’ayant écoutée plusieurs milliers de fois. Tous ceux qui me connaissent savent qu’il ne s’agit en rien d’une hyperbole. On a encore envie, oui.

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01/05/2024 | Lien permanent

278.

girlyger.jpgÇa ne s’analyse pas, un Gervaise, ça se vit, et ça dépasse de très loin Gervaise lui-même, au delà de la métonymie ; celui que j’ai chez moi n’est plus à lui, il lui échappe, et plus encore : il est l’œuvre de celui qui passe devant, tous les jours, sa réalisation. Ou sa projection.    

On parle souvent des artistes une fois qu’ils ne sont plus là, et c’est une gageure que d’en tenter l’exégèse quand ils sont encore vivants. Et bien vivant, dans le cas de Franck Gervaise, qui peint comme il respire, dans ces périodes où le monde lui-même respire mal. Il crée, peint, dessine, photographie, parfois les trois à la fois, dans un trompe-l’œil. Il peint des marines, des forêts et des paysages, urbains ou naturels, il peint ce qu’il voit, partout où il va, le plus souvent loin des hommes. D’une société qui ne lui va pas, dans sa vulgarité, dans les contingences qu’elle s’impose et qui n’en sont pas. Il continue de morigéner l’éducation nationale qui n’accorde pas aux Arts plastiques la place qu’il continue de défendre, aimerait voir les élèves de son collège se tourner vers le Beau, pouvoir le faire, au moins. Il s’en veut, comme beaucoup, de ne pas pouvoir se libérer de ces charges, surtout quand le sort lui en impose d’autres, qui touchent aux siens, les chagrinent et le mortifient. La cinquantaine passée, il n’a pas de temps à perdre, Gervaise, de ce nom qui claque comme un film de René Clair et le destin d’une blanchisseuse abandonnée par son amant, mariée à un alcoolique. Il n’y a rien de naturaliste dans l’œuvre de ce Gervaise-là, que Zola aurait sans doute sollicité pour peindre les terrils, mais le soir, quand le crépuscule leur offre la beauté qu’ils n’ont pas le jour. La frénésie avec laquelle, récemment, il plonge dans ses carnets et - selon qu’il soit sur la plage de la Palue, à Crozon, sous un arbre, au bord d’une falaise ou des deux côtés d’une ombre - ses encres de Chine, ses pastels à l'huile ou le mélange des deux. Le travail de Gervaise, c’est d’abord la ligne, le premier trait, assuré, de la finesse de l’architecte, celui qui, déjà, a les proportions en tête, les différents plans : un Horizon chez soi, c’est la perspective de voir les différentes strates du tableau donner du mouvement autour de la ligne de roche. Les couleurs se mouvoir au gré des couches et du soleil qui les découvre. Sa collection est impressionnante, pare que chaque toile répond à l’autre, et que c’est la somme qui fait le sens, chez lui. Ses plages de silence, il les trace d’un trait, puis les équilibre, cherche la lumière, toujours. Peintre de la lumière et du doute, écrivais-je, un jour, dressant son portrait alors qu’il faisait entrer ma Girafe lymphatique[1] dans le panorama de la pointe de Pern. Il y a quelque chose d’immanent dans cette quête de la lueur, comme allégorie de la vérité, à l’intérieur de la substance, dirait l’autre : chez Gervaise comme chez Spinoza, il y a un rapport, dans la mise en forme, entre la cause et l’effet et si le peintre est inspiré par les lieux qu’il dessine, qui lui offrent l’intuition. Et créé la substance : son éthique personnelle. Peut-être est-ce pour cela qu’il compense ses monstres sacrés – les falaises et le paysage – avec des paysages urbains à la Hopper, mais de nuit. Avec des éclairages froids, que Lynch, son maître de cinéma, ne renierait pas non plus. Inutile, pour autant, de faire plus d’analogies : on ne travaille pas autant sur une œuvre sans qu’elle soit totalement la sienne, et il suffit de le voir illuminer tous les jours les réseaux sociaux du dessin ou de la toile du jour pour se dire que si une fréquence pareille n’est pas normale, elle relève plus de la nécessité que du rendement. Dans son antre de Vannes, à l’escalier de colimaçon, les toiles sont partout, de tous les formats, et le visiteur a sous les yeux deux cents œuvres qu’il voudrait voir chez lui. Sans y mettre la mélancolie ou les méandres que l’auteur leur donne comme titres : une résurgence, sans doute, du chanteur qu’il n’a pas été – Jean-Louis Murat l’a fait pour lui – ou de l’auteur qu’il est quand même, puisque les belles éditions Vrin se sont offert ses toiles comme détail de couverture. On lui a même prêté les passages sur l’Art dans la Girafe, et l’écrivain n’a pas démenti, lui rendant une partie de ce qu’il lui a imposé, en l’affectant au portrait : c’est douloureux pour un peintre du paysage de sortir de son confort et d’aller vers l’esquisse. L’instant de vie pris, au-delà de l’apparence, vers l’esprit. Ce grand lecteur de Baudelaire appréciera que Marcel Raymond traite d’un paysage mental, chez l’auteur des Fleurs du Mal : « Ce que le poète prend au monde sensible, c’est de quoi forger une vision symbolique de lui-même, ou de son rêve, il lui demande le moyen d’exprimer son âme[2] ». Exactement ce qu’il revendique, et qu’il prend parfois mal qu’on ne perçoive pas autant qu’il le voudrait. Et qu’il transforme, par effet-miroir, en une anamorphose : Mon âme embrasse tout, mon âme est une garce. Oh Yes Sir!

Il faudrait interroger, pour comprendre son œuvre, le côté féminin de Franck Gervaise. Pas le dandy qui aime les femmes, jusqu’à s’en perdre, mais la matrice de la création, qui se dissocie de la pulsion de mort : on crée pour transmettre, comme on passe d’une bulle de temps à l’autre. Ça n’est pas une activité d’homme, peintre, sauf quand on en vit, quand on en éprouve la dureté, physique. Winnicott dit que tout va très bien quand un garçon veut, dans l’ensemble, être un homme et quand une fille, dans l’ensemble, veut être une femme et oppose à ce constat les vœux inconscients. Sans entrer dans sa libido, on peut se demander si, petit, quand il sillonnait les routes de sa Normandie natale à vélo, il n’était pas déjà – outre le champion cycliste qu’il projetait d’être – l’homme devant lequel défilaient les paysages et les sensations. Dont il faudrait qu’il accouche, dans la création. Il a deux beaux enfants, Gervaise, dont l’un – l’aîné – est un génie de la basse, dans un monde parallèle, et l’autre, androgyne à souhait, connaît les affres rimbaldiens des très jeunes hommes de son siècle. Ça ne donne aucun éclairage à l’étude de son œuvre, sinon de s’être libéré de cette filiation-là pour en assumer une autre, jusqu’à l’appropriation. Quand il dessine Ouessant, par tous les temps, les saisons et les situations – jusqu’à cette belle tempête de décembre 2017, qui libère l’île de ses touristes et le laisse seul face à l’élément – il s’approprie une île qui n’est pas la sienne, par ses courbes, ses lignes et ses traits de côte. Il la personnalise tellement que les îliens la reconnaissent davantage que ce qu’ils en voient habituellement, voire ce qu’ils en font quand ils veulent la peindre. Pas étonnant qu’il y ait osmose avec les ceux qui l’habitent, qui ont reconnu chez lui toute ce qui relève aussi du désordre et de la démesure, même avec un si petit gabarit. Les lignes de fuite de Ouessant, il faut savoir les recréer, et quand il dessine le Creac'h à 1h 07, c’est l’atmosphère même de la nature qu’il régénère, à l’heure où elle rappelle à ce que l’homme a fabriqué qu’elle ne fait que l’entourer, qu’elle en sera toujours maîtresse. Est-ce pour cela qu’en alternance, il retrouve à ses arbres, phalliques et colorés ? Sans doute pas : les arbres ne sont que les composantes de la forêt et là aussi, il est question d’un univers ouaté, halitueux et accueillant. Pour qui ne craint pas la solitude et les histoires qu’il porte. Un hôpital lui a commandé récemment la décoration de plusieurs pans de ses murs par ses alignements de sylve, dont chaque élément contribue au tout, dans sa singularité : l’effet thérapeutique doit être dans la beauté, immédiatement accessible, dans le message contenu, ensuite, du normal et du pathologique… Les arbres, comme les hommes, sont identiques et différents, et si certains poussent de travers, ça ne les empêche pas de pousser : il n’y a que le manque de lumière qui peut tuer, dans ce domaine comme dans le sien. Vers la lueur, revendique un autre de ces artistes qu’il suit depuis ses débuts, dans sa Bretagne (et assimilée) d’adoption. Le monde était si beau, et nous l’avons gâché. L’Art, de fait, devient restitution, devoir. Ce à quoi Gervaise s’oblige, puisque c’est ce qu’il fait de plus juste, une fois qu’il a fait ce qu’il avait à faire de contraint.

On le dira classique, le lui reprochera peut-être. Il se verra fermer la porte de galeries plus branchées, d’une diffusion plus grande. Mais qui rappellera que dans ce courant classique, à la fin du XVI°s, en Italie, on recommandait d’étudier l’Antiquité, les grands maîtres de la Renaissance et… la nature ? Que le mot d’ordre était de réintroduire le paysage dans la peinture ? Il y a peu entre Renaissance et reconnaissance, phonétiquement, mais tout un gouffre dans la réalité : Gervaise ne sera jamais de style kitsch néo-pop – ou alors c’est très mal parti – et ne partage avec Koons qu’une espèce de vision de l’espace. Sa lueur orange dans la forêt, en techniques mixtes, une ouverture, toujours, dans l’obscurité resserrée et rassurante, à contre-emploi. Sa connaissance même de l’art lui permet de renouveler les supports et les formats. À ce titre, intéressons-nous, en particulier, à une œuvre récente : un quadriptyque, au feutre et à l’aquarelle, représentant, dans le Golfe du Morbihan l'île de Boëdic, sur laquelle l’œil se focaliserait. Ici, les données techniques sont claires, dans la sémiologie : ce que l’œil voit, c’est un trait de côte, des reliefs en arrière-plan, dans un blanc sur-saturé, comme à contre-jour. Plein soleil, pour rester dans la référence cinématographique. Boëdic, dont la poésie pourrait disparaître si on la limitait aux dernières agitations de son propriétaire (privé), mais dont les 11ha et les 9m d’altitude (Gervaise est le peintre de la hauteur relative) n’avait cette identité topologique forte, au Nord du Golfe, à l’Est de l’embouchure de la rivière de Vannes, parallèle à la presqu’île de Séné, séparée de Langle par un espace marin. À la pointe Ouest de l’île, une chapelle sert d’amer aux marins, et c’est à cette distance que Gervaise va l’envisager, pour ce qu’elle est, d’abord, un pan de terre sur la mer, isolée et inoffensive, pour ce qu’elle représente à l’homme ensuite, une idée même de son retrait et de son isolement. L’endroit écarté, où d’être homme d’honneur. Il la dessine de son trait sûr, de loin, puis joue des techniques modernes de son appareil photo. Mais pas pour le cliché, pour l’effet, qu’il cherche à reproduire, sur le papier dessin, par gradation, exponentielle : plus on s’approche de Boëdic, plus elle semble suggérer qu’elle n’est pas neutre et que, comme toutes les îles, elle ne se laissera pas gagner facilement. Le point de vue le plus augmenté, par l’effet de l’acqua qui calque, donne un psycho-diagnostic mémoriel fascinant, comme une somme de toutes ses ombres. Des tempêtes de l’âme. Si je regarde ce quadriptyque, je suis en relation avec toutes les possibilités de l’être, dans son évolution : celui que je suis, celui que j’aurais pu être. C’est la magie des toiles que de contenir ce qu’on y voit, rien de plus. D’ailleurs, ça ne s’analyse pas, un Gervaise, ça se vit, et ça dépasse de très loin Gervaise lui-même, au delà de la métonymie ; celui que j’ai chez moi – mieux, celui que j’ai offert – n’est plus à lui, il lui échappe, et plus encore : il est l’œuvre de celui qui passe devant, tous les jours, sa réalisation. Ou sa projection : aller à Boëdic comme on est allé à Ouessant, pas forcément pour y être, mais pour savoir qu’on peut y être, accéder, d’un coup, à l’autre côté du miroir. Accepter, comme lui, qu’on en est aux deux tiers des quatre temps, et que la tempête s’annonce.

Il y a sans doute des façons plus conventionnelles et plus académiques d’aborder l’œuvre de Gervaise, l’œuvre d’un peintre en particulier. Mais la technique n’est jamais qu’une sale manie et l’obsession est bien plus conséquente, le concernant. Le travail effréné, la multiplication des petits formats – il n’a plus d’atelier, et une récente décision de justice le condamne à ne plus en avoir – le transfert, en peinture, du Nulla dies sine linea, qui fonctionne aussi, suffit à la matière. "Quand il perçoit une image, une possible aquarelle, s’il ne peut la peindre in situ, il s’en saisit, l’ancre, s’il le faut, par le biais de la photographie puis la projette sur son ordinateur. Là, emmitouflé dans son pashimina cachemire, il trace d’abord les contours, dessine d’un trait juste et classique puis accole les couleurs, d’une main qui retransmet ce que l’émotion lui transmet. Quand Gervaise peint, c’est une neuroanatomie des émotions, oui, pas l’esquisse de leur théorie Ce qu’il doit reconnaître, dans sa toile, c’est le mouvement, les strates du ciel, ses contrastes. Tout doit bouger, sur le mur de celui qui acquerra la toile, à condition qu’il sache être patient : quand on regarde un tableau, il faut lui laisser le temps de l’effet, sinon c’est de la consommation. » a-t-on déjà écrit de lui. Dans un « Portrait de mémoire » joliment titré L’inlandsis qui l’appelle. Il sait pourquoi.

[1] Girafe lymphatique, dessins de Franck Gervaise, le Réalgar, 2018

[2] De Baudelaire au surréalisme, Marcel Raymond, Essai, Éditions Corrêa, 1933.

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29/03/2021 | Lien permanent

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