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01/05/2024

Les Beaux restes de son Altesse.

Capture d’écran 2024-05-01 à 07.47.35.pngAujourd’hui, c’est le 1er mai. Le jour des muguets, du farniente et des défilés dans la rue, au soleil (auto-conviction). Mais c’est surtout, dans ma mémoire immédiate, le jour où, l’année dernière, je rejoignis le centre de rééducation, à Bourgès, après ma première perm’ (le terme est militaire, comme ma coupe de cheveux de l’époque, mais exact), un jus d’oranges pressées chez Boule et des moules farcies au ThauThem, après 30 jours d’hospitalisation, 10 jours avant ma sortie définitive. C’est aussi, aujourd’hui, le jour qu’a choisi Stéphane Pétrier pour sortir – enfin – le premier morceau de son projet solo, l’Homme coupé en deux, les Beaux restes, une sorte d’a-contrario célinien des Beaux draps qui dit combien le temps qui nous reste est précieux, tant qu’on peut faire les choses essentielles qui sont de respirer, humer et aimer. On a tous (et surtout moi) de fortes propensions à s’accaparer une chanson, si tant est qu’elle corresponde à nos humeurs du moment, aux crises que l’on traverse etc. Ça n’est pas celui qui vient de publier une ode à la Cantate qui va dire le contraire, et je dois ajouter que mon camarade Jean-Yves, qui a eu – comme le Jean du morceau – le mauvais goût de nous quitter brutalement a ajouté un degré de complexité en préparant, pour son enterrement, un p… de concert gratuit de 7 titres à écouter dans leur intégralité, sans faiblir, même au moment de l’Ange déchu, qu’il aura rejoint. Ici, c’est Jean qui, s’il était encore là, conseillerait, via un tiers, au protagoniste des Beaux Restes d’y aller, puisque la vie file, puisqu’elle va vite, qu’elle éclabousse tous ceux qui s’y collent. Et qu’elle décompte, via le tam-tam de nos cœurs, symbole des émotions et de la possibilité que ça lâche. Comme ça, pfuiiit. Il est question d’un amour dont cet imbécile à qui il faut tout dire dénie encore l’évidence – elle ne rêve que de ça et toi tu fonds à chaque battement de tes cils – et qu’il faudra qu’il vive sous peine de ne pas mettre à profit la chance d’être en vie et de donner. Il se trouve, je peux le dire, maintenant, que l’auteur de cette chanson et son producteur m’ont fait l’amitié de m’en envoyer la maquette il y a un an (et des poussières) et qu’écouter cette élégie au temps restant m’a aidé à me remettre debout, pas à pas, à réapprendre à goûter à la moindre des voluptés de la vie. Pour moi, pour ceux qui m’aiment et aussi pour ceux qui n’auront pas eu la chance de continuer le chemin. Celui qu’emprunte ce chanteur enfin seul – déférence gardée envers son Voyage de Noz – sur un tapis de course, images (un poil didactiques) à l’appui, derrière. Il marche, court, finit un poil essoufflé, sans duper personne. Entre temps, dans ces Beaux restes, il associe Truffaut à Sheila & Ringo, fait rimer Paris & paries avec une audace hugolienne (celle de tombe et tombe) et mène sa (fausse) bluette avec maestria. Je souris aujourd’hui de l’évolution du morceau et de mon privilège – à venir – d’en réécouter tous les jours la version originale, non mixée, plus brute. Moins publique. Mais j’arrêterai vite : je déteste l’appropriation, je l’ai dit, et son Altesse – puisque c’est ainsi que je l’appelle – pourra témoigner que j’ai mis 20 ans avant de l’aborder. À un concert de Murat, tiens. C’est devenu un ami, qui m’a fait l’immense cadeau de la chanter, les Beaux restes, au Mangeur d’étoiles, en novembre, quand je présentai Aurelia Kreit. En exclusivité, sans doute, mais partagée avec tous ceux qui étaient là. Qui l’ont vu accepter de jouer juste avant Tito – ou derrière, c’est selon – comme à l’époque. Ça dit tout de la nature et de la longévité du garçon, de l’impatience avec laquelle j’attends la suite de son projet. Auquel participe, entre autres musiciens talentueux, mon copain de (petite) école, Denis, à la batterie, histoire de prouver qu’on est encore vivant, le verbe haut et le reste. J’étais encore alité quand Stéphane m’a également dédié le Train, au Transbordeur, ainsi qu’à Jean : si j’ai eu plus de chance que lui, j’en suis conscient, en fraternité, sans l’avoir connu. Le 24 mai, je ferai la route jusqu’à la Casa, parce que je ne peux pas rater ça. On peut donc attendre une -simple – chanson un an en l’ayant écoutée plusieurs milliers de fois. Tous ceux qui me connaissent savent qu’il ne s’agit en rien d’une hyperbole. On a encore envie, oui.

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13/04/2024

Premiers retours de Cantate.

Face-1.png« Si "La Cantate & l'Écluse" connaît un démarrage timide, j'espère qu'au final, il rencontrera le succès. Texte assez court, j'en ai déjà lu la moitié. Il évoque certes "la dame en noir" mais va bien au-delà. On prend un réel plaisir à se plonger dans les années 60 , (celles de nos parents) dont on apprend moult détails (le travail de documentation a dû être important).
Seul gros bémol : pour la première fois de ma vie, j'ai une réelle envie d'écouter Serge Lama, personnage moyennement sympathique, mais dont la volonté de survie impressionne.
Après tout pourquoi pas ?
Bref... J'aime vraiment beaucoup ce livre.
Il est certes moins"impressionnant" que les deux tomes d'Aurelia, mais est tout sauf anecdotique. »
 
« Je viens à l’instant de le terminer : ton style est d’une virtuosité ébouriffante. Sans tapage. Sans tape à l’oeil. »
 
"Ce que je voudrais ajouter, c'est que le travail historique autour de la guerre et des grands événements de la 1ere moitié du 20eme est fait et donc plus à faire (exception faite de ton Aurelia qui va au-delà de l'événementiel de 14-18 et au delà de la France). Je ne parle pas d'Histoire mais de Littérature.
Les écrivains ont la possibilité de fouiller maintenant les 30 glorieuses et ses tragédies particulières (époque de fêtes, de possibles, d'insouciance, de créativité mais aussi de lucidité dans notre pays) comme tu le fais avec la Cantate. Trop peu d'écrivains s'y collent... et pourtant je préfère cela à tout ce qui est déversé chaque mois en librairie sur des thèmes ultra-contemporains sans recul. J'aime bien l'effet du temps, celui qu'on ne veut plus prendre, qui pourtant agit comme un filtre."
 
"J'ai également poursuivi ta Cantate, j'avance avec une lenteur toute mesurée, sans laisser gagner l'envie de le dévorer en deux heures. Je trouve ce livre très bien mené, l'écriture est limpide et très posée...Il est différent de tes autres ouvrages, du moins ceux que j'ai lus et que j'ai aimés mais j'y vois une différence. "
 
« Te lire a été, encore une fois, une grande source de plaisir. J'ai aimé ton récit, tenu et happé par la première partie, avant l'accident, puis l'accident. Ensuite, cette belle idée que le chagrin de Serge Lama lui a été comme ravi par Barbara et sa Cantate qui avait su mettre des mots sur le deuil. Et lui qui n'a pas su trouver la formule, en tout cas pas de façon aussi puissamment poétique. Enfin, la postérité des uns et des autres. Nos chansons aimées et fredonnées sont lestées de fantômes. »
 
"C'est un très beau livre. Il suscite beaucoup de choses. D'abord l'écriture est magnifique et donne envie d'écouter Barbara, Lama, vérifier des faits, creuser ..."

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25/03/2024

Les bonnes fées - une chronique sur Aurelia Kreit.

Chronique littéraire Ces brins d humanité qui font Escale à Sète ! - Dis-leur !-page-002.jpgJ'ai souvent évoqué ici cette prédiction elliptique de Laurence Tardieu dans sa lettre de remise de prix, en 2012. Elle me souhaitait d'être accompagné, ponctuellement, par des bonnes fées qui se pencheraient sur mon parcours. J'ai vécu des émotions dans la littérature que bon nombre d'auteurs bien mieux diffusés que moi ne vivront jamais, je suis très clair là-dessus. Mais s'il m'arrive parfois de céder au découragement, ma bonne étoile - tiens, c'est un des sujets d'Aurelia - se rappelle à moi. Ici, sous la plume d'Alain Rollat, qui fut directeur-adjoint du Monde et qui oeuvre désormais pour Dis-leur, ce journal en ligne dont je parlerai bientôt dans le deuxième volume de mes Figures Singulières. En attendant, voilà un article complet, référencé, qui témoigne d'une lecture poussée, exigeante. Je le disais, Alain Rollat a aimé Aurelia et Aurelia - qui n'est pas facile d'accès - l'aime en retour, assurément.

l'article en intégralité ICI.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

10:23 Publié dans Blog | Lien permanent

10/03/2024

La Cantate et l'Écluse.

Le lancement de la Cantate.
A votre curiosité, maintenant!
Préface: Bernard Lonjon
Postface : « Voir les hautes travées du théâtre romain (Fourvière, Lyon, 17 juillet 1988) »

22:05 Publié dans Blog | Lien permanent

La Cantate et l'Écluse.

Le lancement de la Cantate.
A votre curiosité, maintenant!
Préface: Bernard Lonjon
Postface : « Voir les hautes travées du théâtre romain (Fourvière, Lyon, 17 juillet 1988) »

21:43 Publié dans Blog | Lien permanent

07/03/2024

JOURDOTHÈQUE (5/10)

Capture d’écran 2024-03-07 à 19.45.38.pngAvec Paradis noirs, Pierre Jourde explore le terrain du souvenir d’enfance et des mésaventures d’école via une réminiscence qui touche un jour son double de papier, l’écrivain qu’on invite à une résidence dans une ville qui abrita le théâtre de sa scolarité de jeunesse, dans l’Institution catholique locale, avec les religieux à soutane qui dominent le pandémonium, semblables à de gris fonctionnaires des enfers occupés à dénombrer les damnés. Il le fait via deux visions troublantes, la première, celle d’une petite fille qui fut sa meilleure amie quand elle était petite, l’autre avec l’apparition spectrale de qui lui semble être François, revenu de l’oubli pour exiger de moi la mémoire. Problème, la première est morte noyée à neuf ans et le second, il ne l’a pas revu depuis la Fac de Lettres. Et à 60 ans – pour la deuxième salve - l’âge du narrateur, ça date. Parce que François, il l’apercevra deux fois, à vingt ans d’intervalle. Suffisamment pour que revienne la genèse de leur relation au moment de cet adieu à l’enfance qu’est le collège, que remonte une histoire, d’abord vieille de vingt-sept ans, la trilogie François, Serge et lui à laquelle s’ajoutera Boris, le seul qu’il ait gardé et qu’il vient visiter. Lui a vécu une vie normale et ne s’est pas attaché aux souvenirs. Mais le narrateur voit réapparaître, tour à tour, comme s’ils s’incarnaient, des figures d’abord pittoresques, le Surgé Goering, Napoléon, le directeur aux six doigts, puis comme une faille qui ne cesse de se rouvrir, la raillerie, la vie de la victime vécue comme un enfer, dans les hurlements du Père Anselme. Et la victime, ce sera Serge, promis au sacrifice. Ce spectre ferroviaire, c’est l’allégorie de la violence, celle qu’on fait vivre aux autres et celle qu’on s’impose à soi-même, dira François. C’est un souvenir d’enfance qui n’a rien de joli et qu’on a tu longtemps, tellement qu’il revient de lui-même. Tout enfant finit par se défaire, pense le narrateur, tandis que Chloé - celle qui a aimé François et que le narrateur a pensé, un soir, supplanter - dit l’inverse, quand, s’appuyant sur une enfance passée sur les tombes, elle avance tout le passé m’est présent. Dans cette vie campagnarde que Jourde dépeint avec un réalisme parfois glaçant, il y a la double énonciation – me dit Chloé que François lui a dit – qui met de côté, pour le coup, celui de l’action. Paradis noirsmet en avant la fascination des enfants pour la violence, leur avidité de débusquer toute espèce de sentiment pour blesser, regarder saigner et mourir. Comme le crapaud de l’aïeule que François aura massacré sans raison, comme les jeux de récréation d’époque, les partisans contre les SS dans la cour. Avec des tortures à la limite de la comédie, jusqu’à la cruauté ultime, doublé d’un sadisme certain, le piège qui se referme sur Serge. Les habitants du passé sont fragiles, glisse Jourde, dans une cacophonie qui rappelle le dénouement du Prisonnierse succèdent (…) l’Ouverture de Guillaume Tell, les premières mesures de la cinquième symphonie de Beethoven, l’appel du héron en rut, la marche d’Aïda, le début de Yellow Submarine des Beatles, un pépiement de canari, le vrombissement d’une formule 1, le sifflet d’une locomotive à vapeur, « le Printemps » de Vivaldi et le rire de Woody Woodpecker – et le roman recrée la confrérie initiatique qui aura perdu Serge, les légendes des habitants secrets et du frère oublié dans une atmosphère fantasmatique, les trois épreuves qu’il a dû subir –raconter quelque chose dont il avait honte, montrer sa soumission en torpillant son trimestre et signer une lettre ordurière qui provoquera son renvoi après une ultime humiliation. La culpabilité que les deux autres chasseront chacun à leur façon – l’un en voulant faire le grand écrivain, qui dépeint mieux que les autres les ambiances de résidence et de rencontres littéraires – l’autre en devenant, dans ses rêves de gamin fasciné par la Wehrmacht, le parangon du salaud et du paumé, qui passera par les groupuscules fascistes jusqu’à, dit-on, trouver une mort mystérieuse de Barbouze en Angola. Dans une irréalité définitive, puisque le narrateur raconte leurs retrouvailles comme s’il était là, puisqu’ il le voit, partout. Lui s’intéresse aux recoins sales des vieilles maisons et si c’est une juste métaphore, c’est aussi la réalité naturaliste – du Maupassant, du Zola, le berger qui a engrossé la fille de ferme – de la dernière partie du roman, qui remonte à la fin du 2nde Empire dans le Cantal, dans ces histoires de familles qui se ressemblent toutes. Le/les fantôme(s) qui hante(nt) le narrateur en veu(len)t aux vivants – quelle affaire ! – de n’être que de leur temps et non leur éternité. C’est pourtant sa propre damnation - c’était il y a de ça vingt ans. Depuis ce temps je ne dors plus guère – qu’il expie dans ce discours de l’ombre, dans la vie retracée de l’aïeule, les quelques explications données au comportement de François, son inexplicable antipathie avec Serge. Les paradis noirs, ce sont ceux dans lesquels il a été élevé, par manque d’électricité, d’abord, et ensuite parce qu’il ne fallait pas tout savoir, de ces petites pièces qui recèlent de lourds secrets. Ça n’est pas François, finalement, qu’il entr’aperçoit, c’est le double qu’il a longtemps dénié, la tristesse d’être mort, d’avoir passé nos vies l’un sans l’autre : c’est plus pratique de prétendre être différent de celui qu’on a été, ça peut même parfois aller au bout. Sauf qu’il suffit d’un rien pour que le souvenir apparaisse, s’il y en a un qui le sait, c’est bien Jourde. Un roman suffocant, mais salvateur.

 
 
 

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LC&L'E.

Couv-Cantate-LaurentCachard-2-page-001.jpgLa Cantate & l'Écluse, qui sortira le 18 mars en librairie, est disponible en pré-commande à cette adresse.

Objectivement, ça devient de plus en plus compliqué, sans armada commerciale, de solliciter des personnes, comme si la curiosité - de la poursuite d'une oeuvre? - s'était tarie, de façon générale. Le sujet, qui m'a toujours tenu à coeur, et l'éditrice, pugnace, me donnent pourtant envie de me battre, encore, si on m'en donne les moyens, mais je n'échappe pas au gros coup de mou et à l'aquoibonisme ambiant. Peut-être l'interlocuteur qui me lira ira-t-il plus loin cette fois, qui sait? En tout cas, si vous aimez Barbara, il vous faut cet ouvrage. Je crois.

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05/03/2024

JOURDOTHÈQUE (4/10)

wic.jpegIl y a mille raisons de ne pas lire un livre au moment de sa sortie : le manque d’information, de temps, la défiance par rapport à son sujet, aussi. Quand Winter is coming a paru, en 2017, peut-être étais-je moi-même dans d’autres préoccupations, mais Jourde pose la question d’emblée : je n’ai jamais été capable de lire les romans qui parlent de la mort de l’enfant. Et de citer Philippe Forest, Marie Darrieussecq ou Jean-Michel Béquié, dont le Charles, dit-il, avait continué à travailler longtemps dans l’esprit. Comment imaginer que Gabriel, Gazou, n’en fasse pas autant, après un récit d’une telle force ? Winter is coming – le titre d’un morceau qu’a composé Black Soul puis Kid Atlaas, compositeur électro reconnu de ses pairs- est peut-être inspiré par les références (à Game of Thrones) de son âge (il ne lit pas, et encore moins les livres de son père), mais c’est le titre allégorique d’une agonie qu’on n’a pas vue venir, le livre sur un enfant qui va bientôt mourir, atteint d’un cancer du rein dont la forme est tellement rare – un carcinome médullaire – qu’il n’y en a que deux en France, réunis à la Salpétrière (à laquelle on n’échappe pas comme ça). Jourde, qui ne masque rien de la réalité, est un auteur reconnu, son fils – un des trois qu’il a eus – on ne le connaît que parce qu’à 11 ans, des autochtones ont voulu le lapider, en Auvergne. C’est le Gabriel de Pays perdu – les prémices du malheur ?- il a maintenant 19 ans, est lumineux et promis à un bel avenir, comme on dit, mais la maladie le rattrape, et les secousses sont nombreuses. L’auteur s’interroge d’abord sur la pseudo-humanisation des rapports entre malade et thérapeute, les interprétations qu’on fait de la moindre annonce – il ne va pas mourir tout de suite – la façon dont, dans un déni généralisé, on commence par rassurer. Parmi l’infinité des mondes, nous habitions celui où il ne mourait pas. Il énumère les disparitions qui ont ponctué son existence, se souvient avoir été substitué, à deux ans, à l’enfant disparu d’un couple d’amis de ses propres parents. Quand il parle à Gabriel, il dit : tu es vivant malgré la conscience que j’ai de ta mort, s’interroge sur le non-être qui se renverse en être (et cela s’appelle Dieu) sans trop y croire. Sur la culpabilité qui vient quand c’est trop tard – on n’a jamais beaucoup parlé dans cette famille de taiseux – sur son départ quand il était encore enfant, sur son sourire magique quand il venait le chercher à l’école. La maladie – euphémisme – on la voit grandir dans le regard de sa grand-mère qui ne le reconnaît (presque) pas, dans la relation avec Margot, sa chérie, à qui il a demandé de ne plus venir – avant que sa belle-mère, Hélène, le convainque qu’il faisait une erreur, dans l’ennui qu’un père réussit à éprouver dans la chambre de son fils menacé de disparaître. L’injustice, Jourde la retranscrit dans la machine administrative hospitalière, ses lenteurs, ses ratés, les 13h passés aux Urgences, dans la rixe qu’il manque de provoquer lors d’un contrôle de police ou avec des ambulanciers qui ont bloqué le passage ; par réaction, par contraste, aussi : il est atrabilaire et bagarreur, l’a prouvé à maintes reprises, quand Gazou, lui, se glisse dans le monde discrètement, avec son sourire, et c’est ainsi qu’il arrive à ses fins. Il retranscrit les câlins qu’il peut enfin, de nouveau, faire à son fils, les plaisirs qu’il lui crée rien que pour entendre, encore, un Merci Papa qui le convainc qu’ils sont en vie. Le père est aveugle à la maladie, qui gronde et qui ordonne de ne plus le voir reparaître, ou quasiment, le papa dur qui l’a un jour giflé pour une broutille. C’est une réflexion sur la façon dont les médecins perçoivent l’impuissance de la médecine, également (quand il a une mauvaise nouvelle à vous annoncer, le professeur Chaudier a l’air de vous reprocher quelque chose), sur l’impact qu’a le drame sur l’entourage, les amis. Sur le regret, les et dire que, les a-apostérioris. Sur l’œuvre, enfin – une obsession paternelle – célébrée en interne par des articles pêchés sur InternetBref, Gabriel Jourde n’était pas le genre de promesses qu’on voulait voir disparaître aussi rapidement - des sentences – ta musique restera éternelle – ou une note d’Éric Chevillard. Sur l’indicible : le patient et ses proches ne demandent pas, c’est qu’ils ne veulent pas entendre ce qu’il y avait à dire. On pousse avec Gazou, pris d’affection pour cet ange – au sens réel, pas tout à fait de ce monde – on espère, même, bêtement, le miracle après la (courte) rémission, on le porte comme son père le fait à la Martinique – j’ai mon bébé de 20 ans sur mon dos – et puis on s’efface, non sans larmes, devant l’instant, le dernier, qu’il faut leur laisser, la dernière histoire qu’il lui racontera, celle d’un héritage et d’un ordre naturel qui n’auront jamais lieu, une dernière Pietà avec la mère quand le père s’en veut de vouloir faire l’esthète et l’amateur d’art avant de se dire que les anciens savaient déjà.

Le livre est bouleversant, on s’en veut presque d’écrire une telle formule. Les mots ont dû coûter à l’auteur, mais c’est un des plus beaux textes, un des plus justes, qui ait jamais été écrit sur le deuil et l’amour paternel. Celui qu’il faut sans cesse réinventer ; en cela, Gazou et son père sont à jamais réunis : nul besoin de photos pour ça.

20:00 Publié dans Blog | Lien permanent