Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

15/03/2015

Bouquet Fleury.

Fleury.jpgNous avons dû décliner l’invitation à rester dormir et profiter du charme du Brionnais, le lendemain : la salle des fêtes de Fleury-la-Montagne n’avait pas envisagé qu’un violoncelle hors de prix (dans tous les sens du terme) et quelques dizaines de milliers d’euros (cumulés) de matériel ne souffrirait pas le moindre risque couru. Et que leurs propriétaires n’en accepteraient même pas l’idée. C’est un concept qu’on vient d’inventer, râlait encore Gérard Védèche, le matin, quand on préparait deux pleines voitures de matériel « pour cinq chansons ». Les cinq morceaux que le combo joue au complet, qui terminent le crescendo scénarisé conduisant d’un bout de théâtre en solo (le temps d’entendre les premiers rires sur « Pôle Emploi », et qu’est-ce que ça fait du bien !), de trois chansons interprétées par Eric Hostettler seul avec ses pédales (« Faire l’hélicoptère », « le Café des Ecoles » et « Pas loin de la cinquantaine », cette chanson qu’il m’a offerte pour mon anniversaire, l’année dernière), d’une arrivée de Clara sur le « Alone » de Solima, qui nous installe, d’entrée, à un très haut niveau. A Fleury, la salle est garnie, il y a un peu moins de monde que l’après-midi, quand Christian Chavassieux m’a longuement soumis à la question : l’homme est érudit, pugnace et fidèle en amitié, pendant trois semaines, me soufflera sa douce au repas, le soir, il a mangé du Cachard, relu mes livres, cherché quelles en étaient les récurrences, les marques thématiques et stylistiques. Son analyse est raffinée, pertinentes, parfois, je me demande ce que je fais à ses côtés tant il suffisait de l’entendre parler de mon travail. J’ai un peu d’inquiétude sur le timing, mais il balaie ça d’un revers de la main, annonce aux gens présents que ça prendra du temps mais qu’on ira jusqu’au bout. Ce qui, après plus de deux heures trente passées dans la bibliothèque sans que personne ne s’en aille ni ne manifeste d’impatience, ne s’avèrera pas : Clara nous interrompt pour une question pratique, et l’on se rend compte qu’on n’aura pas le temps pour la troisième partie, celle de la condition et du travail de l’écrivain. De ses doutes, de ses asséchements, puisque je lui avais proposé d’aller jusqu’au bout, sans fausse pudeur. Curieusement, après plus de sept heures passées là-bas, à aucun moment le nom d’Aurélia Kreit ne sera prononcé… Signe prémonitoire que rien ne doit plus être dit sur elle avant que le livre existe. En attendant, il est temps, puisqu’on en a terminé, de passer dans la salle des fêtes juste en face, d’investir une belle scène que mes camarades de jeu ont installée, trois heures durant : fonds de scène, light-show, grands rideaux noirs, on est dans un décor sublime, théâtral, pour la première fois, nous allons jouer surélevés, ce qui confère une obligation, directe, de spectacle. On a commencé, donc, « Bonsoir, Fleury-la-Montagne », il fallait l’oser, on l’a fait, Eric, Clara, puis Gérard, qui s’installe, le Dobro scintillant. Le set, le nôtre, commence, les extraits s’enchaînent avec les chansons, « Au-dessus des eaux & des plaines » est toujours la plus belle du monde, la symbiose opère entre nous, c’est généralement le signe qu’elle fonctionne en contrebas, je profite de chaque instant – l’occurrence de tous les extraits que j’ai lus – parce que je suis un privilégié et que je le sais. L’expression éculée après ça je peux mourir, je la ressens à chaque fois que je suis installé sur mon tabouret haut, au milieu de mes musiciens. « Quantifier l’amour », « Ton Egide », « les perdants magnifiques », fou-rire inclus puisque Hostet’ nous gratifie d’un sample qui n’a rien à faire là. Il y a des pains, diront les musiciens, après, des approximations, mais ça tourne magnifiquement et l’on sait, nous, que, de toute manière, « l’Embuscade » va tout emporter : ce morceau adapté de « Tébessa » est d’une beauté sans faille dans sa construction, lente jusqu’à apocalyptique, et la voix, systématiquement, est rendue à celui qui l’a perdue il y a si longtemps. Ma maman, sa sœur, sont dans la salle, je sais qu’elles vont pleurer, comme à chaque fois, mais je sais aussi que ce sont des larmes de gratitude. Puisque le récital est rodé et qu’on en a fini avec le Beau, les impromptus commencent, celui de « Camille » avec Clara, qui me court après et rajoute des suites à la suite de Bach, puis le joyeux désordre, avec le « Petit oiseau » de Trénet que je chante avec Eric, enchaîné avec un bout de la « Supplique pour être enterré » de là où j’écrirai les prochaines chroniques, bientôt. J’adore ces moments où le talent et la fraternité se mêlent, ces petits bouts d’existence qui valident les directions que j’ai fait prendre à la mienne. Ces endroits reculés où les gens savent accueillir, loin de l’entre-soi des grandes villes, ça fait maintenant six ans que je les fréquente, sans me lasser. Il ne tient qu’à moi d’y revenir, avec de nouveaux projets, avec le même enthousiasme. De refaire le chemin, comme on peut le faire le lendemain, pour partager les moments dont on pensait s’être privé. La vie est là, simple et tranquille. Ah ça, effectivement, on peut dire qu’on aura vécu (sans guillemets, même à l’écrit, c’est insupportable) : private joke.

19:26 Publié dans Blog | Lien permanent