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02/01/2015

Autoportrait en 2003.

Il s’était juré de ne rien faire pour ses trente-cinq ans, il se rend compte aujourd’hui qu’il avait raisonné pareillement pour les 30 : « ce n’est pas pareil, se défend-il, pour mes 30 ans, j’avais décidé d’aller à Ouessant, et puis j’ai renoncé, faute de temps, faute d’argent ; j’ai improvisé une fête à la maison, elle s’est terminée à la Soierie à sept heures du matin ! ». A le voir, on est loin du cliché qu’on véhicule sur son compte : volontiers cassant, péremptoire, sûr de lui, on en passe. Une image qu’il n’a jamais comprise : « je n’ai pas attendu de faire de la philosophie pour mettre le doute en préalable de tout ce que j’entreprends… ». Il nous reçoit chez lui, simplement. Petite touche de provoc quand même, l’élégant et siglé tee-shirt Noir Désir. Il dit qu’il n’a pas supporté que Nadine Trintignant s’épanche une deuxième fois sur les drames personnels qu’elle a vécus mais veut couper court et cite Higelin pour ça : « Ah, ne m’faîtes pas dire c’que j’ai pas dit ! ». Du coup, on lui demande si des figures comme Nizan, le Hippo de « Un monde sans pitié », Alceste, le maître, ces personnes dont il aime à dire qu’elles « assènent des vérités en se regardant les ongles » (dixit le portrait que Sartre fit de son cothurne normalien) ne l’ont pas un peu sorti des basses réalités de ce monde : « c’est vrai que la vulgarité m’énerve, concède-t-il, mais faut-il accepter de passer à côté de ce qui est juste et beau parce que ce n’est pas dans l’air du temps ? ». Laurent Cachard est ainsi, toujours prompt à se transformer en chevalier des causes perdues, pourvu que l’on n’aille pas vers la concession, qu’il abhorre mais reconnaît pratiquer. Les idéaux lui semblent loin, lui qui cet été a fait un tour du côté du Larzac, le temps de manger « une tartine de pain frais beurrée avec des haricots blancs et du lard » au stand de la Conf’ Vendée et d’écouter Manu Chao. Il aurait bien aimé croiser Daniel Mermet, mais il y avait trop de monde ; du coup, c’est un mini-concert de Paco Ibañez, cet été, qui l’a relancé : « ce type avait une force, avec sa guitare, une conviction, il balance des textes fabuleux avec la simplicité du passeur de merveilles ! » La chanson n’est jamais très loin avec lui : il dit pour plaisanter qu’il est capable de trouver une chanson pour chaque mot prononcé dans une conversation, que des amis peuvent témoigner ; il montre le disque qu’il a enregistré avec Fred Vanneyre, Ahmed Mérabet et Eric Hostettler, dit que « sans l’accident, les gens l’auraient davantage apprécié » : les fêlures sont là, tous ceux qui ne seront pas avec lui ce soir, Fred, Sammy, ceux qui auraient pu venir mais qui ne viendront pas. Sa première idée de carton d’invitation ? Prendre la photo de groupe de ses vingt-cinq ans et barrer les têtes disparues : « on vit mieux ça à trente-cinq ans, le cynisme aidant. Mais quand les trahisons arrivent, c’est sûr, la douleur est vive ». La mémoire aussi. Pourtant, il garantit la réussite de la soirée qu’il organise, dit que ses amis sont d’une richesse inouïe et que – signe pour lui d’une  vie réussie, « ils sont différents ». Ce dont il avait peur avant, et qui ne l’effraie plus… Quand il s’agit pourtant de dire ce que « ça lui fait » d’arriver à cet âge, l’atrabilaire amoureux ne se démonte pas et renvoie à sa mère : « quand je ferai le bilan de ma vie », dit-elle toujours, paraît-il. Et lui ? « Oh, j’ai lu à quatorze ans qu’on n’était pas sérieux quand on a dix-sept ans  et à dix-sept ans que vingt ans n’était pas le plus bel âge de la vie, alors… » évacue-t-il. Des soucis pour ce soir, au moins ? « Que la menthe soit fraîche et qu’on ne manque pas de glaçons. » Pas la peine d’aller plus loin, visiblement : pour un soir, la métaphysique sera mise de côté. On peut s’attendre au pire, mais de ces pires dont on a tous besoin, de plus en plus régulièrement. Ce soir, cela fera trois mois qu’il aura commencé à apprendre l’espagnol, une langue qu’il s’est juré de maîtriser d’ici cinq ans, pour la quarantaine : de quoi pouvoir prononcer correctement le mot « Jerez », pour le boire plus tranquillement. Et dire une fois encore qu’entre « la perfection de Dionysos et l’amertume de Don Juan » - la définition que Garcia Lorca donna du fino, il n’a pas choisi et se refuse de choisir. 

 

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