Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

13/11/2014

Un roman à l'envers (14).

image.jpgBon, c'est bien ma chance. Je trouve après bien des détours le petit restaurant sans enseigne, avec quelques marches à descendre pour atteindre une porte bleue anonyme, me fais comprendre, m'assieds à une table en vous, dans une jolie pénombre entourée de bouquins, et là, mes voisins de tablée sont deux expatriés. Compatriotes. Je n'ai rien contre eux, Antoine, à Kiev, s'est avéré d'excellente compagnie, m'offrant le réconfort des premiers pas à l'étranger. Mais là, ces deux jeunes hommes ont des intonations que je n'aime pas, pas plus que la teneur de leur discussion: on parle argent, chiffre d'affaires, réseaux, renégociation de salaires en fonction de l'inflation en Ukraine, en d'autres temps, j'aurais pu m'immiscer, mais là je n'en ai pas envie. D'autant qu'il parle de Racine, en passant par l'étymologie, et qu'ils butent tous les deux sur un titre à donner. Optent pour le Cid, repassent, vite, aux recueils de citations de la vie courante qui permettent, par exemple, "d'envoyer chier quelqu'un". Ils sont bien mis, ont le monde pour et devant eux, je suis un dinosaure de l'ancien. Plus étranger à eux que par la seule nationalité. J'ai compris il y a longtemps qu'on apprenait la langue, quelle qu'elle soit, de sa culture. Mais ils partent, je vais pouvoir profiter de ce repas, du lieu, gentiment bobo. Du poisson fin, puisque les grenouilles de l'Oural, promises, font défaut. Je ne dépareille pas, puisqu'autour de moi, même en groupes, chacun est affairé à son portable. Le mal du siècle. On doit croire que j'écris quelque chose d'important. En bon acteur, je fronce les sourcils, pour les en assurer: après tout, les quatre ou cinq personnes qui suivent mon carnet de voyage ont de l'importance pour moi. Plus que l'inflation en Ukraine, désolé.

 

21:54 Publié dans Blog | Lien permanent

Un roman à l'envers (13).

image.jpgOubliez tout ce que vous disent les guides de voyage: novembre est un mois idéal pour visiter l'Ukraine, comme n'importe quel pays d'ailleurs. Certes, il fait nuit tôt, mais quel bonheur de n'être bousculé ni par les touristes ni par les marchands du temple. Je marche le long du Dniepr, du côté opposé à ma balade de la veille. Sur les berges, des paillotes locales, toutes fermées, personne pour m'aborder et me proposer un mauvais menu dans un mauvais anglais. Je marche, le froid me rattrape un peu, il faut dire que dans la journée, il fait 13 degrés: pour le froid sibérien, je repasserai. Ou pas, parce qu'on ne va sans doute à Dniepopetrovsk qu'une fois dans sa vie, quand on y va. J'ai toujours été sensible au choses du temps, comme dirait l'autre, sinon je n'aurais aucune nécessité à écrire. On m'a offert trois mois pour le faire sans aucune contrainte, je m'y attelle, malgré les vents contraires des avis de l'édition. Pas tous, j'espère. J'en suis à novembre, dans ma vie, mais je ne respecte aucun calendrier, donc n'en tire aucune conclusion métaphorique. Peut-être le printemps est-il beau ici comme ailleurs, je ne vois pas pourquoi il ne serait pas, avec tous les parcs dont la ville regorge. Mais je les aime bien dans leurs chaussettes d'hiver (ou presque), les arbres, aussi.

16:48 Publié dans Blog | Lien permanent

Un roman à l'envers (12).

image.jpgIronie de l'Histoire, qui n'en manque jamais, ce sont sur les terres ukrainiennes, qui ont cherché à l'éradiquer, que la communauté juive a vu s'implanter, en 2012, ce que "The Times of Israël" définit comme le centre communautaire le plus luxueux du monde:  le Centre Menorah. Dans une ville aussi anachronique que Dniepopetrovsk, on a dire que ça détonne: Igor Kolomoisky, un milliardaire juif, très populaire ici depuis qu'il a financé l'armée ukrainienne, a voulu, dès 1991, sortir la culture juive de la clandestinité dans laquelle l'antisémitisme soviétique l'avait plongé, après que 20000 Juifs ont été assassinés dans et autour de la ville, sous l'occupation allemande, avec l'aide des Einzastgruppen ukrainiens. Un bâtiment immense, vingt-deux étages, un éclairage de nuit, des milliers de mètres carrés, des salles de réception high-tech, une synagogue en marbre noir, des bains de luxe, des restaurants et le musée de la mémoire juive, avec ses deux étages, la vie d'avant et puis l'Holocauste. Au premier niveau, je retrouve des images sur lesquelles j'ai travaillé pour imaginer la vie ici en 1904. Par une fenêtre reconstituée, je vois la rue telle que Nikolaï ou Anton la voyait. Pas d'angélisme: en 1904, en Ukraine, on tue déjà les Juifs et le Tsar ferme les yeux: c'est pour cela que les Kreit et les Bolotnikine quitteront le pays. En haut, des documents déjà vus, mais toujours marquants: une fosse reconstituée sous forme de fresque, comme si on était au centre. Les murs de chaux vive dont on recouvre les cadavres fraîchement abattus. Une des scènes de rue, en 1941, que j'ai retranscrite pour essayer d'en diffuser l'horreur et l'hébétement. Je sors de là forcément marqué, il fait un temps splendide, je m'engage sur les hauteurs, parcours des squares, m'arrête sur des usines désaffectées, côtoyant les boutiques de luxe: le paradoxe de cette ville, son dernier rapport au passé avant effacement des traces. Je me dis à chaque fois que ce pourrait être là que mes personnages ont vécu, ont travaillé. Je cherche leur présence et, parfois, la trouve. C'est pour ça que je suis venu.

12:09 Publié dans Blog | Lien permanent